Du fonctionnement biologique à l’écriture de l’œuvre.

Aspects analytiques de la mémoire.

C’est moi qui écris, moi qui pense, juste assez pour écrire,

moi dont la tête est loin. Je suis Mathieu et je suis l’ange,

moi venu avant la croix, avant la faute, venu au monde venu ici. 

Samuel Beckett

in l’ Innommable,

Ed. Minuit, p.24


 

 

Introduction

 

Le travail que je vais vous présenter aujourd’hui et qui en est à ses débuts, se place dans la continuité de celui sur le mouvement, que j’ai développé dernièrement au congrès Parole et musique à Madrid.

Beaucoup d’interrogations apparaissent lorsqu’il s’agit de comprendre le comment du fonctionnement de nos " mécanismes " qui a posteriori de tous types de perception extérieure ou intérieure, mènent à l’écriture de l’œuvre " visible " sonore ou musicale. Cela devient souvent un défi, pour reprendre les mots de Ian Stewart, dans le cas où, nous nous aventurerions à comprendre le " pourquoi " des choses.

Nous verrons plus loin que même lorsqu’on n’a pas suivi d’études musicales et en dehors de l’usage de l’enregistrement qui permet de réentendre à souhait l’œuvre et la construire séquence par séquence, la mémoire joue un rôle catalyseur entre le corps, l’esprit et l’imaginaire. A l’écoute il n’y a pas une grande différence entre l’improvisation et l’œuvre écrite, puisque les sons défilent sans " pagination " mais comme des signifiants, par phrases dont l’auditeur perçoit les sens dans un flux continu d’informations traduites par ses propres capacités d’entendement. A ce sujet, nous pouvons constater aujourd’hui grâce à la technologie, le phénomène inverse; la possibilité de construire une œuvre à partir de structures sonores pré- enregistrées, n’exigeant aucune connaissance des codes d’écriture, mais dans le meilleur des cas, une connaissance technique fondée sur des codifications et langages permettant l’assemblage des structures selon les goûts mémorisés.

Cela nous éloigne de la notation spécifique à la musique et nous renvoie à l’écriture. Ainsi, on constate que bon nombre de " pièces " dites " musiques actuelles ", procèdent d’un processus d’uniformisation déterminée par les possibilités offertes par les programmes et la plupart du temps il y a confusion entre nouvelle écriture et notation d’effets sonores modélisés, issus de la notation des systèmes classiques.

Peut-on opter pour une écriture différente, en la changeant " physiquement " tel que le propose Pierre Boulez ? Ou alors, somme-nous contraints de par notre propre constitution biologique et physique, de ne " comprendre " la musique que dans des limites des fréquences développées par notre activité cérébrale et ordonnée dans la mémoire par l’histoire des systèmes occidentaux ?

En regardant et en analysant la situation actuelle de la création d’œuvres modernes, dépourvues de " fétichisme " et de la réalité de l’expérience de l’écoute de la majorité des individus, on se rend compte que le concept fondateur de la composition en occident – sur laquelle s’alignent volontairement les autres pays – représente pour les compositeurs de ce genre musical dit contemporain depuis 70 ans, une forme " naturelle " de l’évolution des langages sonores en rapport avec la notation. Si on prend conscience que les définitions de justesse, d’harmonie et de contrepoint ne sont entendues qu’après des longues études théoriques, et on compare cela avec l’apprentissage de la musique extra occidentale à travers l’expérience des manières et des styles, on arrive à la conclusion qu’il y a au moins deux démarches différentes: la première dans les limites de la réplication et la seconde au-delà de ces limites, évoluant dans un quatrième monde.

La première, procède de l’expérience, autrement dit de la mémoire et organise l’équilibre entre le ressenti et l’objet, et la seconde procède également de la mémoire mais la désorganise afin d’aboutir à un résultat expérimental, qu’un autre type de mémoire, affective, corrige et organise.

Sensibilité, sens et sensation (épidermique, olfactive, visuelle, auditive) sont liés par leurs étymologies et forment en association des capacités d’observation, un ensemble de fonctions complexes de l’expression dans laquelle se reflète et s’affirme le corps, à travers les rapports environnement-être, les typologies et les caractéristiques des réactions, la topologie des trajectoires et la substantialité des capacités créatives.

La notion de culture naît également des rapports mentionnés. Sa diversité provient justement des capacités de constituer des " mémoires " très différentes, fondées sur les expériences, les degrés d’évolution individuelle et socialisée, faisant la part entre les représentations " reproductives, créatives " et les aspects réceptifs de chaque individu. Cela implique la morphologie organique mais aussi les capacités révélées à l’individu et traduites par sa volonté de puiser dans le différentiel entre l’automatisme et les " limites " de sa mémoire.

En ouvrant une parenthèse au sujet de la dite mondialisation, terme très à la mode aujourd’hui, nous ouvrons toutes les " portes " existantes entre les trois  mondes de K. Popper, car malgré l’apparent éloignement avec les comportements artistiques, il existe des liens étroits entre l’imaginaire et la volonté d’évoluer. Soulignons, qu’à ce niveau, il y a complémentarité entre l’activité biologique et les capacités biophysiques qui permettent ou non de développer la " volonté ".

Par ailleurs et en quelques mots, puisque cela constitue un sujet adjacent concernant le comportement, cette " mondialisation " impose des principes économiques et des modèles de gestion à travers la communication visuelle et auditive en imposant une uniformité des moyens qui s’avère malgré tout, fausse. Ainsi, les pratiques uniformisées mettent au présent la confrontation de sociétés vivant " à des époques " différentes de l’histoire, autrement dit n’ayant pas développé une mémoire active de l’évolution sociale.

Cela occulte souvent l’évolution et la spécificité du vécu, socle de la culture, provoquant ainsi un phénomène de " résistance " fondé sur la " mémoire affective ", qui se traduit par la réorganisation d’identités sociales historiques, afin de pouvoir fonctionner " en surface ", suscitant par la même occasion le phénomène de la post-modernité. Le médiateur est dans ce cas, l’oralité et la mutation des langages ordonnés (qui se déconstruisent) et se traduisent en images communicantes. Les notations reviennent de par cela au degré 0 de l’écriture et deviennent variables. Le niveau d’entendement et d’expression communicante ou artistique que ces sociétés développent, s’édifient à partir des différents degrés d’évolution où se retrouvent individuellement leurs mémoires culturelles ou à travers des codifications symboliques primitives, soient-elle virtuelles.

Il s’agit " d’une autre histoire ", où la conscience ne puise plus dans l’ensemble des connaissances mais, tel que nous l’évoquions, dans les savoirs d’une mémoire des valeurs affectives.(1)

Cela apparaît dans le gestuel, mais aussi dans le langage, les modifications des notations, la représentation de l’image " écrite ", les attitudes de lecture et la manière de rendre intelligible le sens des affects, etc. Toute cette énumération conduit à penser que des transformations fondamentales sont en cours de réalisation et qu’elles représentent la volonté d’aboutir à des significations aléatoires, donc instables, permettant des repositionnements existentiels et identitaires des individus. C’est souvent le résultat d’introspection dans un monde indéterministe et non quantifiable, qui exige une analyse comme dans les cas pathologiques. Dans ce sens, la littérature devient un moyen de s’extérioriser pour produire  " l’image " virtuelle d’un ego sensible.    

Nous analyserons ce phénomène une autre fois, mais ce qui ressort de cette affirmation en rapport avec le sujet de la recherche proposée ici, est  le fait que malgré l’évolution historique de l’humanité, malgré la diversité des êtres humains, des époques et de leur évolution, l’homme possède a priori les capacités biologiques, physiologiques et physiques cérébrales, pour passer d’un mode de fonctionnement évolutif à des modes de fonctionnement représentatifs. Ce qui veut dire, qu’il possède la " conscience de l’avenir dans son passé ".

En cette raison, l’analyse que je vous propose, se fonde en premier sur quelques éléments neurologiques du comment se forme la mémoire physique, afin de démontrer, que la mémoire humaine - et de manière différente celle animale - construit des limites que la volonté repousse. Ce phénomène fait que les comportements raisonnés ou instinctifs, conditionnés par des " automatismes " sont en permanente transformation et reflètent un fonctionnement biologique et biophysique induit à la représentation, afin de signifier dans un premier temps ce qui est " matérialisable " et possède la capacité vitale de réplication.

La réplication se produit grâce à leurs qualités, puis, le résultat devient analysable a posteriori dans le présent, en tant qu’original.

 

 

 

1 - Un exemple est celui de la Réunion qui depuis une petite dizaine d’années, transforme l’oralité du créole en langue écrite

 

 

La variabilité de ces automatismes est due en grande partie à la simultanéité avec laquelle se définie progressivement l’expérience.

Nous commençons par penser à l’univers physique tel que nous le connaissons, avec des effets et des causes bien proportionnées les uns aux autres : puis, par une série de décrets arbitraires, nous augmentons, diminuons, supprimons, de manière à obtenir ce que nous appelons le désordre. En réalité, nous avons substitué du vouloir au mécanisme de la nature ; nous avons remplacé l’ " ordre automatique " par une multitude de volontés élémentaires, autant que nous imaginons d’apparitions et de disparitions de phénomènes

.(2)

Quel que soit l’objet " présenté " en tant que résultat de l’acte créatif, il trouvera le potentiel biologique d'une caractéristique (fonction biophysique) de la capacité organique préexistante de ce que nous appelons mémoire. Dans ce sens, à un degré éloigné selon le fonctionnement de l’ensemble cérébral  nous remarquons la différence entre artisanat et art.

Hors débat entre aristotéliciens et platoniciens, l’art ne se fonde pas uniquement sur la mémoire issue du mouvement de réplication, mais compose sa mémoire en puisant l’essentiel dans ce qui est conservé par la conscience du sensible et ce qui est imminent, et qui ne retrouve pas de matérialisation a priori. C’est en quelque sorte la problématique entre la modernité et le modernisme, entre l’esprit qui évolue " hors-temps " et le corps qui nécessite du temps pour assimiler et sélectionner les orientations proposées selon des critères variables en rapport avec la perception de l’évolution de l’environnement. L’observation du résultat final " organise " la mémoire à venir. En cette raison, nous ne pouvons pas ignorer l’analyse des fonctionnements biologiques qui font que la réfutation comme la négation des choses, de nos choix expressifs, apparaissent dans leurs multiples diversités, à travers l’expérience et la mémoire d’un " corps " en apparence commun. Ce " corps " signifie la matérialité physiologique en constante évolution de l’Etre, qui fait usage des moyens a posteriori, afin de matérialiser ce qui provient du domaine du sensible.

Par conséquent dans le processus d’évolution, il n’y a pas d’imitation à l’origine mais des réplications " des mouvements ", révélatrices de la volonté d’avancer dans la constitution des chaînes intelligentes. A ce titre, un exemple abstrait car à l’antipode de la pensée quotidienne, est  de se rappeler que la rencontre d’un phosphate (P) et un sucre (ribose) dans un environnement " gazeux ", donne naissance à un " ruban " de notre vie et que grâce à cette communication à la fois élémentaire et complexe, s’ouvrent d’autres voies et se forment d’autres éléments complexes qui deviendront beaucoup plus tard, " visibles ", organique et substantiellement expressifs afin de créer, étapes par étapes de leurs évolutions, des références cohérentes avec leurs origines.

 

 

2- Henri Bergson, L’évolution créatrice, Puf Quadrige, Paris 2001 – p. 234

Elles développeront des codes et leurs notations spécifiques dans la perspective de trouver les moyens vitaux et cela en ignorant la mesure du temps mais en prenant en compte celle de l’espace et des volumes. De par cela, sommes-nous le miroir de ce qui est préexistant, et " l’élasticité de nos limites " nous permettra-t-elle d’admettre comme expressif autre chose que ce qui nous compose?

 

 

 

 

I - Biologie de la mémoire

 

  • Quelle est la " réalité " biologique et le fonctionnement de la mémoire qui conditionne a posteriori le comportement créatif ?
  • Dans cette perspective, par quels processus transitent puis s’homogénéisent les informations de la mémoire du sonore qui procure ou non l’émotion a posteriori?

 

 

Les travaux actuels des biologistes et neurologues montrent l’importance de la notion de communication à travers laquelle s’affirme la préexistence de la mémoire. Il s’agit des tissus neuronaux dont une des fonctions est la prospection afin de créer des liens communiquant et intelligents, tel les dernières expériences qui mettent en contacte des neurones avec des circuits en silicium et dont les résultats révèlent qu’il y a des tentatives synaptiques entre les deux éléments.

Dans ce cas on peut affirmer que la créativité ne se fonde pas, mais fait usage de la mémoire à partir des caractéristiques singulières et spécifiques à des automatismes préexistants. En cette raison, nos comportements et nos actions résultent d’une réalité biologique du fonctionnement et de la capacité " productive " de la mémoire.

Ils prennent un sens à travers leurs confrontations expérimentales et fondent leur conscience. Leurs réactions aux stimuli intérieurs et extérieurs conditionnent leurs existences mais dans tous les cas, constituent à partir de leur potentiel de mouvement, l’expérimentation et la mémoire des évènements.

Pour mieux aborder et comprendre l’aspect intrinsèque des relations qu’engendrent progressivement ce que j’appelle la mémoire active, la mémoire affective et passive, autrement dit avant d’entrée dans un monde moins pragmatique que celui qui nous engendre, je vous propose d’expliquer quelques notions sur l’aspect biologique du cerveau.

Je ne vais pas m’attarder sur ce que beaucoup de gens savent, c’est-à-dire la division du cerveau en deux lobes symétriques dont les fonctions perceptives D et G  sont inversés.

Par contre ce qui est significatif ressort de l’observation du chercheur R. Sperry, qui constate en 1982, que malgré une prédominance d’une des hémisphères, je le cite, " chacun des hémisphères se conduit comme s’il n’était pas conscient des évènements cognitifs produits dans l’autre hémisphère. En d’autres termes, chaque moitié du cerveau,esttrès différent de l’autre, avec ses expériences du perceptibles et de l’apprentissage, et ceci dans l’oubli apparent des événements correspondants qui se déroulent dans l’autre hémisphère. "(3)

L’observation du pr. Sperry, est très importante car elle explique le fait qu’en cas de lésion d’une partie du cerveau et dans certains cas, il est possible qu’il y est permutation fonctionnelle entre les deux lobes avec une perte de qualité, mais avec des résultats plus ou moins analogues. L’indépendance des deux hémisphères signifie également qu’il y a plusieurs zones qui sollicitent la conscience  et constituent différents types de mémoire. Dans un sens anecdotique, cela rappelle les observations du psychologue Fechner qui dès le XIXème s., pensait que la séparation des deux hémisphères aboutirait au dédoublement de l’être. Toutefois avec un seul poumon nous aurions un comportement gestuel homogène que nous n’aurions pas avec un seul hémisphère, puisque certaines lésions provoquent la perte totale de la conscience de l’existence d’une partie de notre corps.

 

Schèma 1

 

(4)


Dans ce schéma, vous observez, en dehors du croisement des champs visuels, les afférents sensoriels non-visuels envoyés à l’hémisphère gauche situés du côté droit et à l’hémisphère droit par les membres du côté gauche.

 

De même les voix afférentes auditives sont (pour l’essentiel) croisées, alors que l’olfaction est répartie GG et DD. (Coupe du corps calleux d’après Sperry en 1974 – The Neurosciences 3ème programme d’études – M.I.T. Press)

 

 

 

 

 

3 R. Sperry, in Some effects of disconnecting the cerebral hemispheres’ Science 217


4 -  J. C. Eccles, in Evolution du cerveau et création de la conscience – Ed. Fayard 1992 p. 275

 

Schéma 2

 

Ce deuxième schéma montre la localisation de certaines fonctions de l’hémisphère droit. Les neurologues proposent de situer dans le lobe temporal droit l’aire où sont traitées les informations d’ordre musical. On remarque que l’air de la musique englobe le secteur cochléaire.

 

 

 

Selon des travaux menés par le professeur Milner en 1972, il a été démontré que le lobe temporal droit est en relation avec l’appréciation de la musique et avec la reconnaissance des formes dans l’espace, mais qu’il n’est pas affecté dans certaines pathologies pour l’appréciation de la hauteur des sons et des rythmes. Par contre, une ablation du lobe temporal droit annihile toute capacité de reproduire une mélodie mais, laisse la possibilité de prononcer les paroles de la chanson (Gott 1973).

En résumé de ce premier point, notons l’importance de ce lobe pour la reconnaissance des formes à la fois musicales et spatiales.

Le test du professeur Kimura sur la perception simultanée de deux mélodies différentes une à D et une à G, prouve que les informations sonores envoyées par l’oreille droite à l’hémisphère gauche sont mieux perçues. Par conséquent, l’hémisphère gauche effectue un traitement de l’information acoustique qui précède sa reconnaissance sémantique.

Cette vision globale d’une partie du cerveau permet de situer les zones sensibles où se produisent les échanges biologiques et chimiques, mais plus on pénètre dans ce corps " fini " plus on constate la complexité d’une apparente combinatoire infinie.

À titre d’exemple, le schéma suivant montre une des fibres nerveuses afférentes:

 

 

 

 

 

5 -  J. C. Eccles, in Evolution du cerveau et création de la conscience – Ed. Fayard 1992 p. 262

 

Schéma 3

 

On observe les contactes synaptiques avec des neurones.

 

A= Diagramme général; B= dessin d’une cellule pyramidale de l’hippocampe, illustrant la diversité de contacts synaptiques avec différentes zones de dendrites apicales et basales, et de contacts synaptiques inhibiteurs avec le soma.

 

À droite, diverses sortes de synapses, représentées agrandies (Hamlyn 1962).

 

 

Sans rentrer dans des détails neurologiques complexes, et pour compléter ce très bref aperçu, il est indispensable en ce qui concerne le fonctionnement de la mémoire, d’ajouter aux fonctionnements synaptiques les apports chimiques.

 

 

6 -  J. C. Eccles, in Evolution du cerveau et création de la conscience – Ed. Fayard 1992 p. 203

Pour conclure cette brève première partie, je vous propose un aperçu de ce que le professeur John Eccles, (partant des observations de Brice et Lomo), résume en tant que propriété de la mémoire. Je cite en passant sur les détails techniques:

….après tétanisation […] la croissance de la population EPSP (excitatory postsynaptic potentiel) montra que la force des synapses avait presque doublé et demeurait ainsi pendante plus de dix heures. La durée prolongée du renforcement synaptique fut immédiatement reconnue comme offrant un excellent modèle synaptique pour la mémoire. Ce fut comme si la synapse se souvenait de son activation. Les neurones du système nerveux périphérique ne présentent pas cette capacité de procurer de la force à long terme: long term potentiation (LTP).

…Cette LTP hétérosynaptique revêt une importance toute particulière dans les efforts visant à construire une théorie de l’apprentissage et de la mémorisation pour le cortex cérébral. Apprendre n’est pas seulement se souvenir de quelque stimulation initiale intense; c’est, plus encore, se souvenir d’expériences associées […] on peut la considérer comme la plus importante innovation évolutive, jouant le rôle clé au niveau de la mémoire cognitive.

(7)


 

 

Schéma 4

 

(8)

 

 

7 et 8 -  J. C. Eccles, in Evolution du cerveau et création de la conscience – Ed. Fayard 1992 p. 207

 

 

 

Le second point de cette présentation montre que ce que nous signalons comme processus mnésique constaté par la conscience est intégré a posteriori dans le fonctionnement sensitif neuronal. Tout phénomène extérieur qui atteint la " conscience du moi " ainsi que tout aspect de fonctionnement mécanique sont enregistrés et constitue la mémoire. Son usage est périodique, en fonction des qualités des stimuli provenant de l’extérieur et agissant comme des " marqueurs " de la conscience.

On constate à la lecture du texte d’Eccles, tel que nous l’avons indiqué dans l’introduction, qu’il y a une capacité physique préexistante de la mémoire. Elle se retrouve dans la constitution même des fonctions neuronales, comme par ailleurs dans le potentiel de réplication des hélices ADN. Pour se répliquer et constituer un système fonctionnel quel qu’il soit, dans n’importe quel domaine, il faut retrouver le mouvement en tant que support de la communication, et par conséquent retrouver une forme ne serait-ce que primaire de la mémoire qui permet de constater a posteriori l’évolution et le développement.

Dans la continuité de ces aspects biologiques et avant d’aborder le sujet de la conscience, il est nécessaire de situer les différents types de mémoire. Les travaux du professeur Martial van der Linden, au CHU de Liège, proposent suite à des travaux d’après différentes pathologies et observation des circuits réactifs neuronaux, 5 types de mémoire:

1 – La mémoire épisodique, de l’événement rapproché dans le temps (pathologie = amnésie)

2 – La mémoire sémantique – repères événementiels dans l’histoire, la matérialisation des mots, l’acquisition de la connaissance.

3 – La mémoire procédurale, qui concerne les interprètes (pianistes, violoniste etc.), autrement dit les procédures d’action complexes de l’appareil locomoteur, en absence du langage. Toutefois il faut considérer que ce type de mémoire concerne également l’articulation phonique.

4 – La mémoire perceptive et de la représentation, qui sert à l’identification formelle et structurelle des corps et inclus aussi bien l’évolution oculomotrice que la perception tactile.

5 – La mémoire de travail : représente l’usage immédiat des donnés enregistré par les autres types de mémoire.

Au regard de cette compartimentation des fonctions mnésiques, il est important de souligner l’aspect intrinsèque existant entre l’activité des zones stimulées et constitutives de la mémoire (dans le sens large du terme) et l’acte créatif représenté par l’imaginaire, puis par l’écriture.

Le fait de "concevoir" les sons, correspond à la sollicitation d’une zone spécifique du cerveau, selon la provenance et les caractéristiques du stimulus sonore. Cela suscite le fonctionnement d’un ensemble ordonné schématiquement à travers la réaction de " circuits " neuronaux déterminés, qui possèdent déjà une fréquence puisqu’ils développent a priori une énergie électrique.

Il se produit ainsi une réaction ayant plusieurs sens : chaotiques jusqu’à l’identification de la source d’émission, puis ordonnée par la localisation des circuits et zones aptes à traduire et créer une panoplie d’actions (comportements) possibles.

Ce fonctionnement qui devient logique à cause de la cohérence perçue a posteriori, est interprété simultanément pendant son évolution ; cette interprétation donne lieu à un ajustement subjectif, autrement dit, il engendre un type spécifique de comportement.

Par exemple le fait de répondre à une stimulation sonore n’engage pas de relever sa tête. Ne pas relever la tête ne signifie pas que nous n’avons pas perçu le signal sonore. Un tiers ne perçoit pas notre fonctionnement mais le résultat, notre décision de relever ou pas la tête, autrement dit, il interprète un comportement représentatif en le transformant et l’appréciant selon sa propre " sensibilité ".

  • Ces fonctionnements complexes organisent en premier les paramètres de l’appareil réceptif en dehors ou en relation avec le système sensitif, dont le " réservoir " est ce que nous appelons la " mémoire ". La stimulation due à un événement extérieur peut susciter une identification à travers un ordre représenté par l’imaginaire. Exemple, l’audition du freinage d’une voiture identifie la voiture.

 

 

  • Les capacités des zones de mémoire sont non seulement celles de stockage de donnés mais celles d’engendrer la " prospection " et " l’intro prospection ", c’est-à-dire de pourvoir par anticipation à des expérimentations singulières.
  • Cette prospection puise dans la capacité neurologique de quantifier, d’ordonner et de réguler les niveaux réactifs afin d’aboutir à un fonctionnement cohérent en rapport avec l’extérieur. Exemple: l’association d’un ensemble de paramètres sonores entendus lors d’un enterrement identifie du point de vue sémantique et culturel, le genre musical et donne lieu au ressenti, si non au souvenir " imagé " de l’événement. Aussi, la reconnaissance d’un rythme d’une œuvre, engendre par association la hauteurs relative des sons, comme souvent le texte réciter d’une mélodie connue suscite à l’auditeur la partie chantée.

 

Suivant ce dernier raisonnement, la relation entre la mémoire en général et notre comportement dit " créatif ", révèle le résultat obtenu suite au fonctionnement d’un ensemble complexe de circuits croisés et de " cartes " (comparaison empruntée à Gérald Edelman) d’identifications d’ordres convergents a l’action, dont chaque secteur du néo-cortex révèle une " triple écriture " dans une démarche simultanée de périodes du temps (passé, présent, futur). Comme dans toute recherche analytique, lors de la lecture de ces " écritures ", qui nous identifient et nous justifient, la difficulté est de prendre conscience du moi à travers ces périodes (passé, présent, futur) qui matérialisent l’instant de l’action, comme par exemple celle de composer.

Dans l’introduction, nous avons affirmé que la mémoire crée ses propres " limites ", ce qui la rend sélective. Ces " limites " correspondent souvent aux particularités de l’intensité de l’événement, et à d’autres critères affectifs qui amplifient ou dégradent dans l’imaginaire les paramètres réels, mais déterminent également la différence entre l’œuvre artisanale et celle artistique. Par exemple, les œuvres de Vasarely réalisées à " la chaîne " dans son atelier et selon ses vœux afin de démocratiser l’art contemporain par la reproduction, posent le problème de l’objet appartenant à Vasarely l’artiste et celui réalisé par un ouvrier selon un modèle. Il n’y a pas d’imitation, puisque dix ans plus tard, l’ouvrier n’aurait aucune idée de ce que l’artiste pourrait produire, mais il serait capable de répliquer dans des couleurs différentes l’objet conceptuel de l’artiste. Le résultat qu’il revendiquera sera celui de l’originalité d’une modification. De la même manière qu’un autre ouvrier n’ayant pas connu l’artiste, pourrait en regardant une œuvre, la reproduire de mémoire, mais sans obtenir les qualités de l’original. Dans ce cas, la capacité sélective entraînerait la mémoire affective pour répliquer l’œuvre.

Dans le domaine musical, où il n’y a pas d’objet visible, où la mémoire et en constante sollicitation afin de justifier la notion de forme, on constate que pour éviter d’avoir des " trous " dans l’homogénéité de la forme, les évènements sonores doivent êtres marquants, surtout en absence de mélodie intelligible et mémorisable. Autrement dit, la mémoire sélective, détermine les qualités sur une échelle de valeurs qui agit selon les paramètres de l’événement sonore. Si celui-ci n’est associé à aucune représentation (jeu de scène, paroles, etc.), alors il doit produire des jalons mémorisables de manière active. C’est pour cela aussi,  qu’une œuvre atonale auditionnée en concert, puis en absence des musiciens sur scène, lorsqu’on écoute un enregistrement, est assimilée de manière différente puisque le type de mémoire auquel elle fera référence sera affective.

Lors d’une petite expérience effectuée avec un groupe de 8 élèves musiciens du niveau supérieur, j’ai proposé à intervalle de trois semaines une écoute composée de deux œuvres: le mouvement lent de la 4ème Symphonie de Brahms et le premier Lied op. 18 de A. Webern.

A ma demande, après les deux écoutes par œuvres, ils devaient dans un premier temps, décrire par des mots clés ce que suscitait en eux chaque œuvre et dans un second temps affirmer leur préférence en argumentant. La fourchette d’âge se situait entre 17 et 20 ans. Un seul élève avait l’âge de 15 ans.

Par regroupement le résultat fut étonnant. La musique de Webern apparaissait comme un " combat, agitée, effrayante ", mais fait marquant " improvisée, sans construction, désorganisée ", alors qu’il s’agit d’une œuvre que Webern affirmait accomplie du point de vue dodécaphonique et par conséquent organisée rigoureusement au regard d’un analyste et de musiciens confirmés. En ce qui concerne la mémoire à 3 semaines d’intervalle, l’œuvre de Webern était toujours présente à l’esprit des élèves alors que celle de Brahms, " belle, majestueuse, parlante, organisée, etc.. ", était déjà " noyée " dans le répertoire classique habituel de l’apprentissage musical en conservatoire et confondue (4/8) avec Beethoven.

Peu importe le niveau de connaissances musicales de ce groupe, le fait marquant est que dans leur ensemble ils se souvenaient de Webern, puisque leur " limites " étaient atteintes et qu’ils se retrouvaient bousculés par un événement sonore sans référence dans leur mémoire et cela, malgré leurs connaissances sur le fonctionnement théorique du système sériel.

Auparavant j’avais procédé à la même expérience avec un groupe d’enfants de 8 ans, sauf que les œuvres étaient l’Air de la Reine de la Nuit et un extrait d’une œuvre pour saxophone, voix et électronique de Paul Mefano, autour d’une histoire de dragon. Le groupe dans son ensemble me demanda plusieurs fois d’écouter l’histoire sonore de Paul Mefano. Dans ce cas précis il n’y avait aucune mémoire si non l’imaginaire naissant du plaisir d’expérimenter à travers le " corps " de ce qui était perçu.

La troisième étape fut celle du chant. Je leur demandais aux deux groupes de chanter sinon la musique exacte, au moins une improvisation de la chose entendue. Seul  le groupe des très jeunes osa s’aventurer dans une reproduction de la musique de Mefano. En ce qui concerne Mozart et Brahms, cela posa un problème fondamental, puisqu’ils cherchaient tous la " justesse " de l’air vocal ou thématique du cor.

Cela me pousse à constater, que ce qui est perçu comme " chaotique ", libère la mémoire de contraintes et facilite l’esprit de l’artisan, menant ainsi à l’Art. Ce qui suit un modèle se limite aux seules modifications que ce modèle lui permet et quoi qu’il tente, la mémoire affective corrige les " dérives " qui l’oriente vers l’expérimentation. C’est une sorte de " névrose de défense " où la conscience analyse et prend le dessus sur le risque d’ouvrir une voie de communication nouvelle. Dans ce sens l’être agit comme un programme informatique qui se bloque puisque les trois écriture (celle de la machine, celle du support et celle du programme) ne correspondent pas. Mais dans l’autre sens, l’être à la possibilité de communiquer en rassemblant dans l’espace, les durées du temps afin de retrouver un langage au-delà des limites de son expérience, dans la perspective d’expérimenter. Chose importante: en absence d’un système de notation les éléments qui en apparence n’ont pas d’ordre, retrouvent une " logique " harmonique de par leurs qualités propres et leurs potentiel de s’inscrire dans l’imaginaire afin de constituer les paramètres de l’objet qu’elles engendrent. 

Avant de plonger brièvement dans la conscience, le Temps apparaît comme un autre élément fondamental à partir duquel on peut mesurer la durée de la mémoire, fonction et rapport de l’intensité des stimuli. Nous sommes l’unique espèce qui mesure et enseigne le Temps et nous lui prêtons des qualités philosophiques qu’un chat et un singe ne réalisent pas de la même manière. Par contre, nous associons toujours les périodes du Temps à des actions conscientes ou " automatiques ", autrement dit naturelles, mais également à des actions dites créatrices, c’est à dire le fait de faire correspondre le Temps avec l’Espace dans la perspective de créer des formes (des actions) interprétables par les durées. Le cerveau humain est incapable de concevoir la séparation entre Temps et Espace, puisqu’il se détermine de ces fonctions. Par contre ce qu’il ne lui est pas naturel c’est le mesurable et le quantifiable par des symboles. Ainsi, l’apprentissage montre que si le cerveau a une fonction naturelle pour assimiler des signes, il ne le conçoit pas comme des représentations en dehors de son langage. Ces aspects à différents degrés, concernent également le chat ou le singe et surtout ils représentent le processus physique du cerveau ainsi que sa capacité d’apprentissage des périodes temporelles et d’adaptation aux phénomènes de l’environnement. Mais il est évident qu’un chat n’aura pas idée de porter une montre pour ses rendez-vous, par contre il pourra apprendre la forme d’un objet que nous appelons " montre ". Les travaux de Pavlov révèlent un apprentissage du temps associé aux autres paramètres physiques (vitaux) ce qui permet d’affirmer dans le cas de l’homme la même capacité. Toutefois, cela s’avère primaire chez l’homme et d’apprentissage supérieur chez l’animal, puisque l’homme fera usage des priorités alors que l’animal fonctionnera que dans le sens vital : manger, boire, se défendre, s’abriter, se reproduire. Chacune de ces fonctions vitales donnera lieu à des expériences prise en charge par la mémoire issue des fonctions organiques. Ainsi un chien serait incapable de narrer une toile, par contre il sera capable de prendre des risques pour sauver un être d’une autre espèce, notamment humaine puisqu’il mémorisera le danger en tant que phénomène vital imminent.

Là encore, il n’imitera pas mais il adaptera son action et adaptera son comportement selon une mémoire active de l’apprentissage par l’observation et en quelque sorte en permanence affective.

Tous ces exemples dans le désordre, définissent l’importance des " limites " de la mémoire, qui construit dans le temps une échelle d’intensité des stimuli reçus, tel que nous l’avons observé dans l’expérimentation du célèbre professeur John Eccles.

 

 

II – Conscience et mémoire

 

 

 

John C. Eccles, comme le neurologue G. M. Edelman, partent de cette base biologique fondamentale pour aboutir à la conscience. Dans cette recherche et pour situer la notion de conscience, je vais reprendre la définition du philosophe Daniel C. Dennett, professeur au Tuft Center for cognitive studies - Medford, lorsqu’il écrit dans Content and Consciousness: … le " phénomène " qui semble être plus que tout autre essentiellement d’ordre " mental " et non physique, est la conscience (1969). Cette affirmation comme celles d’autres philosophes tels D.M. Armstrong, (9) ou D.O. Hebb,(10) soulève l’interrogation du comment des évènements mentaux non matériels, peuvent agir sur les synapses du cerveau afin d’aboutir à des comportements productifs et des représentations symboliques.

 

 

 

9 - The nature of mind – Ithaca NY Cornell Univ. Press – 1981

 

10 -

Essay of Mind 1980

Nous avons montré à travers les découvertes des neurologues que les neurones possèdent la capacité de conserver, de mémoriser dans le temps l’action réalisée. En multipliant ces actions par les centaines accomplies quotidiennement, automatiques et constructives, le terme de conscience se détermine par la nécessité de conserver  plusieurs types de rapports tel un post-fonctionnement mnésique : celui entre l’objet et son utilisation, de la pensée, de l’idéation et de l’application, de l’observation et de la production de la pensée etc.., autant de tâches différentes de par le type et la destination.

Il se produit ainsi une compartimentation des actions et la durée du " souvenir " dépend physiquement de la provenance et de la qualité des stimuli, mais aussi de la périodicité avec laquelle se produit l’activité.

Par conséquent, on peut imaginer qu’au XVIIe siècle, Descartes avait déterminé deux types de substances, c’est-à-dire des constantes productions chimiques de l’organisme, qui sont à l’origine de la méthode de pensée: la res extensa (substance étendue) et la res cogitans (substance pensante). Concernant Galilée, celui-ci détermine les capacités de la perception selon la substance étendue, alors que pour lui la substance pensante n’existe pas à proprement parler ni dans le temps ni dans l’espace. Des observations de Descartes reste toutefois l’idée de l’importance des glandes (dont la glande dite pinéale à l’arrière du système oculaire) en association avec l’hippocampe et le cortex (en transitant par le cervelet).

Plus tard au XIXème siècle, William James (1842-1910) un des fondateurs de la psychologie physiologique moderne, proposa la conscience comme processus et non comme substance. Celle-ci reflète une intentionnalité et se trouve être personnelle.

En 1977, une étude conjointe entre Karl Popper et John Eccles révéla la conception philosophique du premier, qui organisa en trois mondes toutes les formes d’existence ainsi que toutes les expériences.

Le monde 1 est celui des choses (selon la terminologie de Kant) et des états matériels incluant le cerveau humain.

Le Monde 2 est entièrement formé des expériences subjectives et des états de conscience.

Le Monde 3 est le monde de la connaissance objective ; c’est le " monde " de la culture, créé par l’homme et intégrant le langage.

Au regard de cette classification, prenons ce qui intéresse le processus de la mémoire et qui mène à la création:  

  • Les œuvres d’art et la musique se retrouvent dans les objets fabriqués. Ainsi, il existe une matérialité biologique de la capacité de la création mais qu’elle est le résultat d’apports extérieurs au moyen de la perception. Ce monde 1 est en échange constant avec le Monde 2 et lui fournit sa matérialité. C’est le monde où se constitue ce que j’appelle la mémoire passive. Ce type de mémoire passive représente la source qui fournira dans le monde 2 et 3 la qualité des aspects de l’expérience (perception, pensée, émotion, intentions, souvenirs rêves et imagination créatrice).
  • Le Monde 2 est celui où se retrouve l’expérience. Cette expérience se fonde sur les principes de répétitivité acquise dans la partie Biologie qui engendre les substrats matériels de la créativité humaine. Les connaissances subjectives de ce 2ème Monde révèlent la formation de ce que j’appelle la mémoire affective, alors que dans le Monde 3, cette mémoire affective devient opérante à différents degrés.
  • Le Monde 3 est celui de la connaissance objective. On remarque la notion d’héritage culturel codé sur des substrats. La notion d’héritage signifie l’interaction entre la mémoire affective et la mémoire active.

Lorsqu’il s’agit d’exprimer la pensée artistique sous la forme créative selon le sens de l’originalité stylistique, la mémoire passive contribue à la motricité de la réalisation par le biais des automatismes. L’analyse qui est suscité par ce type de mémoire, s’insère dans le fonctionnement de la mémoire active. S’instaure ainsi un processus de force entre l’héritage représenté par la mémoire affective et l’application usant de la mémoire active.

Le fait d’user de codes de notation musicale dits traditionnels, est signifiant de l’apprentissage correspondant au Monde 1.

Cela se traduit par la volonté de modifier l’ordre sonore mémorisé par réplication, afin d’obtenir la ressemblance à l’émotion déjà contenue dans une œuvre préexistante et mémorisée du point de vue sensitif. C’est le cas de la citation variée, de la variation mélodique et de l’imitation figurative. Dans tous les cas, du point de vue de la notation, cela représentera l’aspect artisanal, dont l’objet devra être intelligible et interprétable pour une nouvelle réalisation. Dans le domaine de la création après introspection il y a décision d’obtenir un désordre correspondant à l’antithèse du " langage ".

Il apparaît ainsi, la volonté de dérive, où l’automatisme de la mémoire passive ne mènera plus à une représentation de la réplication, mais à la réfutation fondée sur la priorité d’user de la mémoire active en tant que fondement de l’expérimentation.

Le résultat obtenu sera, même pour soi, l’objet abstrait qui nécessite une explication rationnelle. Cet aspect se retrouve dans la musique dite contemporaine qui fait abstraction a priori du discours et de la narration. Par contre elle suscite des interrogations quant à sa classification dans un genre intelligible puisque transitoire entre le monde 2 et 3. De même on retrouve des nombreuses œuvres qui naissent du " conflit " entre les " recentrages " effectués par la mémoire affective confrontée à la volonté d’expérimenter. Cela reflète bien le processus biologique qui est en constante évolution à travers le développement de chaînes qui se modifient progressivement.

Par opposition à cela, et pour laisser cette fin de présentation " ouverte " à des communications ultérieures, on peut également proposer un 4ème Monde, c’est-à-dire un monde qui échappe à la mémoire et a posteriori à la conscience du " moi ", de par l’impossibilité de déterminer avec précision, en absence du langage et des graphismes, les limites de l’objet. La dimension spatio-temporelle de ce monde serait constituée par des trajectoires en continuelle définition. Autrement dit, l’œuvre issue de cette dimension aurait tel le Chaos, qu’une seule qualité, celle d’exister à travers ses propres différences et d’évoluer de manière anachronique. Ce monde serait celui de l’invisible, du parallèle, et il finirait par aboutir à un fonctionnement accidentel. Ce 4ème monde, serait-il à l’origine d’une " autre " première chaîne ADN ?