Entre’Acte

 

Bavardages et digressions sur la pensée et le décors de la jeunesse de Franco

 

Au début du XXIème siècle Franco Donatoni rend son tablier d’artisan, emballe sa collection de chapeaux exposée chez lui à Milano, et décide de suivre silencieusement le Passeur en refermant le dernier " panneau " au-delà de la Porte, dans l’Innommable. Dernière révérence du " raggionere ".

 

  • Franco, tu parleras quand même un peu…de la Muse par exemple…
  • Ah, la " Mouze "Elle, la Femme, l’inspiratrice de la sensibilité et de la Grâce…
  • …la beauté ordonnée, la tragédie et la passion entre deux "mondes", la mère et l’amante d’un Père par lequel naissent la miséricorde et la révolte, l’impossible touché vers les figures du passé numérisés et géométrisés dans la singularité des priorités que la mémoire de chacun possède; Elle la Muse, qui ne montrera que le reflet d’un souffle expressif et librement ressenti, ouvert aux imaginaires. Elle ne pourra jamais maîtriser le potentiel poétique et raisonner l’indétermination, puisqu’elle ne sera qu’un mythe de la perfection absolue transformé dans la pluralité des iconographies du passé.
  • Tu vois ! tu parles mieux que moi…de moi…(sourire), alors où en êtes-tu avec ton travail ?
  • J’avance avec les problèmes du quotidien…
  • Ah, moi j’ai résolu les problèmes…(en prenant la position zen sur un banc pas loin de la Fnac de Strasbourg)
  • Sauf celui de la Muse et des chocolats….auxquels tu n’as plus le droit…
  • Eh non, c’est interdit ! (en regardant les " mouzes " qui passaient)…Bon poses-moi tes questions, après on mange…

 

Il était difficile d’entamer une discussion analytique sur sa musique sans ces "exercices" d’introduction et  d’articulation labiale, ou alors il fallait être présent lors de ses cours. Dans la panoplie de Franco, figuraient des "croquis" de son imaginaire, des gesticulations constituées en langage expressif comme des projections dans les "espaces" sonores virtuels et de la tekhné de la notation musicale, d’où naîtront tous les paradoxes édifiant progressivement l’œuvre d’une vie et surtout, les représentations mnésiques des "affects - vérités" en permanence conflictuels.

Franco parlait peu de la peinture, sauf de ses "toiles sonores", cadre après cadre, panneau après panneau. Alors faisons cette longue digression en prenant la peinture comme la musique qui opèrent cette harmonisation asymétrique des sens.

          Un bref exemple: nous traversons, croisons et nous suivons en profondeur l’espace d’une toile de l’extrême Noir de Soulage; chaque trait laisse apparaître la préexistence des éclairages, de la vraisemblance de la lumière dans le mouvement des figures sensibles, esquissées, déformées et suggérées jusqu’à la pureté subjective de la sensation.

Continuons la digression journalistique avec un brin d’histoire philosophique que les contemporains de Donatoni connaissaient (et dont celui-ci n’avais qu’une connaissance très relative), livrée en vrac…des choses du passé, auxquelles je n’avait jamais pensé…comme me disait Franco à chaque fois que j’essayais de creuser pour le faire parler "universitaire".

 

 

Digressions Ad libitum

 

 

Parmi les cours de philosophie de G.W.F. Hegel, cours desquels on a "architecturé", l'ouvrage intitulé L'Esthétique, il pose la simple question: Quel besoin l'homme a-t-il de produire des œuvres d'art ?; et en début d'analyse il explique qu'on peut considérer cette production comme un simple jeu du hasard et des circonstances, auquel on pourrait indifféremment se livrer ou ne pas se livrer....et il termine par la conclusion suivante: Le besoin général d'art est donc le besoin rationnel qui pousse l'homme à prendre conscience du monde intérieur et extérieur et à en faire un objet dans lequel il se reconnaisse lui-même....Tel est le libre fond rationnel de l'homme, dans lequel l'art puise son origine nécessaire, tout comme l'action et le savoir. Cent ans après que Hegel ait écrit, assurément trop tôt, " l'art est du passé - L'art ne donne plus cette satisfaction des besoins spirituels, que des peuples et des temps révolus cherchaient et ne trouvaient qu'en lui. Les beaux jours de l'art grec comme l'âge d'or de la fin du Moyen Age sont passés […] et s'être attaqué aux vues universelles qu'il accuse de régler tout ce qui est particulier, deux grandes tendances, d'une part le positivisme et d'autre part la phénoménologie vont orienter la réflexion.

Richesse d’une époque de recherches - et pour mettre en évidence la transversalité des disciplines - cinq années avant la naissance de Franco, en 1922, prenait naissance le Cercle de Vienne ; en pleine élaboration du dodécaphonisme, le père spirituel Arnold Schoenberg en sera un des signataires. Constitué progressivement autour du philosophe Moritz Schlick rejoint par le philosophe Rudolf Carnap (élève de Frege), le physicien Philipp Frank, le sociologue-logicien Otto Neurath, le mathématicien Kurt Gödel spécialisé dans les sciences inductives, ce "cercle", dans lequel se retrouvent des mathématiciens, des logiciens, des physiciens, propose de penser entre autres sujets philosophiques (entre le marxisme et le kantisme), l'analyse logique du langage (méthode) et de l'unification de la science (projet), allant ainsi au-delà de la métaphysique dont les énoncés demeureraient dans la clarté. Partant de l'idée de Leibniz, le logicien Gottlob Frege construit un langage symbolique formé de signes précis et dépourvus d'équivoque. En 1882 il écrit un mémoire où il dévoile son projet: Mon intention ne consiste pas à représenter une logique abstraite par des formules, mais bien à exprimer un contenu au moyen de symboles écrits d'une façon plus précise et plus claire qu'il ne serait possible de la faire en utilisant des mots . Il se développe ainsi une logique axiomatisée et " purifiée " des croyances et de l'empirisme, redéfinissant le rapport complexe du signifié (matérialiste) et du signifiant (métaphysique). Ce logicisme aboutira chez Bertrand Russell à l'édification d'un langage symbolique encore plus rigoureux et représentera une source importante pour le Cercle de Vienne d'une part, et dans un autre sens du structuralisme qui se développera en France.

Le mouvement de Vienne, dont Wittgenstein ne fera partie que très peu de temps de la même façon que Russel, est précurseur de la philosophie analytique, discipline influençant les personnalités des pays anglo-saxons. Après sa cessation en 1938, elle survivra à travers la phénoménologie de Husserl (lors des conférences de 1929 intitulées Méditations cartésiennes), de Russell et de Wittgenstein par son œuvre Tractatus logico-philosophicus. Il est avéré qu'une grande partie de toutes ces réflexions linguistiques et logico-philosophiques influencera la réflexion de la théorie musicale et la composition, à travers notamment la volonté de repositionner les codifications de l’expression. Cela implique en partie l’usage des sons en tant qu'éléments indépendants dont la logique architecturale obéit aux lois de la série déterminant des ensembles sonores structurés dans un espace signifiant le sensible. Arnold Schoenberg et ses disciples de l'école de Vienne, musicale cette fois-ci, s'inscrit d'une manière générale dans ce concept et avec certitude dans la mouvance positiviste. Un regard d’ensemble sur l’évolution des concepts de création artistique et celle de la pensée scientifique du XIXème au XXème siècle, mène à considérer que la création et la recherche ont un fonctionnement intrinsèque et que ce qui est traduit en concept d’œuvre résulte de connaissances pluridisciplinaires. A titre d’exemple, lorsque des sémiologues énoncent le principe du signe et du signal, cela est intrinsèque au langage-directionnalité du mouvement et au gestuel-signifiant sonore. La notion de langage telle qu’un musicien la conçoit dans l’abstraction de l’objet sonore signifiant, compose la grammaire  et la syntaxe des fondements de l’expression sonore. Instinctivement et sans le savoir particulièrement, Franco développe cet aspect dans la formalisation de ses œuvres. Les énoncés qui suivent n’appartiennent pas à un musicien mais elles montrent les liens directs entre les disciplines.  

...3.327 - Le signe ne détermine une forme logique qu'en fonction de son utilisation dans la syntaxe logique ...4.002 - L'homme possède la faculté de construire des langages, par lesquels chaque sens se peut exprimer, sans avoir nulle notion ni de la manière dont chaque mot signifie, ni de ce qu'il signifie. - De même que l'on parle sans savoir comment sont émis les sons particuliers de la parole

Wittgenstein attribue à l'homme la faculté de construire des langages en dissociant la signification de l'identification des sens exprimant l'objet. Toutefois il y a exclusion de tout énoncé à caractère empirique qui ne fait pas l'objet d'une vérification scientifique, et dans cet esprit, les propositions métaphysiques, celles spontanées et qui ne sont pas analytiques, sont classées dans le domaine du non-sens. Le débat reste ouvert…car l'univers des sons et le "langage" musical, ne peuvent êtres que métaphysiques, puisque la matérialité du son (phénomène) apparaît dans l’imagerie (technologie) mais le sens d’une "phrase musicale" (rythmée et ordonnée par hauteurs, intensité, dynamique, timbre) constitue un signifié dont l’interprétation et l’attribution à un langage ne peut être que signifiant et n’à pas de sens commun et universel. Par contre ce que nous appelons le bruit produit par un objet-instrument détermine un timbre identifiable (signal-signifié) à partir de sa fonctionnalité : klaxon d’une voiture, sirène, etc... 

Les générations des années ‘50-'60 abordent cette recherche interdisciplinaire et même des compositeurs qui ne sont pas spécialement de formations véritablement scientifiques s’intéressent et s’impliquent dans les recherches touchant le domaine musical, du moins par le traitement du son et les possibilités de modifier la codification traditionnelle. Chez Donatoni par exemple, les quelques principes de découpage formel, d’enchaînement de structures architecturant progressivement la forme de l’œuvre, impliquent les liens avec le structuralisme, la constitution phonologique et linguistique de la conception et de la perception formelle de l’œuvre.

...Au sens strict, est dépourvue de sens une suite de mots qui ne constitue pas un énoncé à l'intérieur d'une langue...

. Ce type de proposition devient le concept du composer avec des éléments préexistants afin de déconstruire jusqu’au point "zéro" à partir duquel il s’agit de créer. Ainsi les notions théoriques traditionnelles et spécifiques à une discipline ne suffisent plus pour dépasser le stade du composer avec des éléments existants. Il faut constituer un "langage" d'une logique mathématique et avoir une source philosophique commune afin d'être dans l'unicité d'un ensemble complexe architecturant les fondements de la création.

D'après Karl Popper, philosophe et épistémologue né à Vienne en 1902, on considère comme inductive, une inférence si elle passe d'énoncés singuliers (nommés aussi particuliers), tels des comptes rendus d'observations ou d'expériences, à des énoncés universels, telles des hypothèses ou des théories. K. Popper remet ainsi en question le néo-positivisme du Cercle de Vienne, en reprenant les théorèmes du mathématicien et logicien Kurt Gödel, qui développe l'aspect d'incomplétude qui caractérise l'œuvre d'axiomatisation et du modèle de rationalité totale. Malgré cette scission par rapport au positivisme qui n'admet en complément des propositions tautologiques que les certitudes de type expérimental et la vérification empirique des énoncés, on constate dans le domaine musical une sorte de "distribution" des connaissances spécifiques par rapport aux évolutions sociales et culturelles; "distribution" qui dans le domaine de la création, assimile les différentes étapes de l'histoire et conçoit différentes méthodes. En cela la refonte de la réflexion que propose, à travers la phénoménologie, Edmund Husserl, tend a résoudre une crise de "pouvoir", dont son projet est de définir comme source-fondement de toute connaissance et science, la philosophie comme science rigoureuse. Husserl s'oppose ainsi aux naturalistes comme Ernest Mach, que Donatoni, à l’image d’un d’Alembert, cite comme une des sources de réflexion sur la matière inerte, et base son projet sur les questions de la raison (vérité, esprit) a contrario de l'objectivité et à l'encontre des essences (eidétique) qui permettent de comprendre les faits. Ainsi se dégage la conscience pure et intentionnelle - la conscience n'est pas un contenant, mais la tension et la décompression des choses de la mémoire affective vers la mémoire active - retour à la subjectivité indissociable de l'objet. Cette conscience intentionnelle, et aussi la conscience tel que J.P. Sartre la concevait, comme un mouvement, un élan vers l'éclatement, qui caractérise les faits et compose le "sens" fondamental de l'évolution de l'esprit. En cherchant un des éléments constitutifs de cette conscience Donatonienne, le mot "souci" serait approprié selon la définition de Jacqueline Russ, figurant dans un de ses ouvrages didactiques et condensés de l’histoire de la philosophie. Souci toujours en avant de lui-même et anticipant soi-même, se réfugiant, pour fuir ce sentiment ontologique qu'est l'angoisse, dans le milieu de la banalité quotidienne, univers factice où triomphe le "on", force qui nous fait agir anonymement et inauthentiquement.... Par opposition au règne du "on", l'authenticité de l'homme se découvre dans l'assomption de la mort - structure même de la vie - saisie comme ma possibilité ultime et le chiffre même de mon destin dans le monde.

Quant à la conscience de Donatoni confronté à la société italienne et aux réalités cruelles du monde, l’analyse du philosophe Karl Jaspers m’apparaît appropriée puisqu’elle s’inscrit dans la problématique de la condition humaine et la remise en question de l'individu à travers son propre vécu, sujet et objet dans les situations-limites. Nous revenons ainsi à la source triadique de la pensée hégélienne, où l'absolu se constitue à partir d'un certain automatisme d'un mouvement dont le moi est à la fois matière génératrice et source fondamentale d'une cause qui réfléchit le mouvement à l'infini, le transformant en mouvement cyclique et perpétuel : telle l’œuvre.

On pourrais retrouver certains aspects des interrogations de Franco (rédaction du Questo et de Antecedente X…sulle la difficolta del comporre) chez Ortega y Gasset, espagnol né à Madrid en 1883, la même année que K. Jaspers. Voici quelques citations de ses conférences pendant lesquelles il interroge la science de manière critique; il rejoint en cela K. Jaspers et  dans une moindre mesure Heidegger qu'il rencontre lors de la tenue de conférences sur la technique à Darmstadt en 1951 - quatre années avant le passage de Franco Donatoni: Qu'est-ce que la connaissance ?, il soulignera l'existence d'autres vérités que la vérité physique et posera la question du sens: Que serait une connaissance dite exemplaire, prototype de la vérité, si nous remplissions avec précision le sens contenu dans le mot connaître ?......Il en résulte que ces sciences - surtout la physique - progressent en convertissant leur limite en principe créateur de leurs concepts. C'est pourquoi elles n'essaient pas utopiquement de s'améliorer en ....dépassant leur limite inévitable et originelle, mais au contraire en l'acceptant, en s'y appuyant,....; ainsi atteignent-elles leur propre achèvement. L'attitude opposée dominait au siècle dernier: chacun aspirait alors être illimité, à être ce que les autres étaient, et ce que lui n'était pas. C'est le siècle où on voit une musique - celle de Wagner - ne pas satisfaire d'être musique mais vouloir se substituer à la philosophie, voire à la religion; c'est le siècle où la physique veut être métaphysique et la philosophie, physique; la poésie, peinture et mélodie; la politique ne se contente plus d'être politique mais aspire à être un credo religieux et, ce qui est plus énorme, à rendre heureux les hommes.

Ne pourrait-on pas voir en cela un brin de la " liberté " de l’instinctif créatif et de l’humanisme existentialiste de la pensée, anticipant certaines des réflexions de J.P. Sartre ? Cette conception de la philosophie induite aux arts, repositionne-t-elle l’artisan et l’artiste selon la pensée platonicienne ? Rappelons-nous que Donatoni disait toujours je suis un artisan et aussi sono un raggionnere (je suis un comptable). Ce plébiscite de l’expression instinctive qu'on peut considérer comme la démarche opposée à toute transversalité et justification scientifique des arts, oppose Ortega y Gasset et montre la modernité " absorbée " par la technologie, lui laissant la place de défenseur post-kantien de la métaphysique.  Même lorsqu’il énonce sa conception sociale des vocations expressives en résumant l’appropriation de l’intelligence par les masses populaires, il sauvegarde indirectement les " limites " imposées par la croyance. Il stigmatise la démarche déhumanisante et perverse de la bourgeoisie à laquelle il oppose l’individu naturellement créatif, en critiquant la rationalité systématique imposée par la vulgarisation et l’immédiateté du progrès scientifique.

Son discours est inexorablement aux temps présents car il considère que la "chose" préexistante se transforme à travers les générations, subissant des mutations à tous les niveaux, et dont le seul élément fondamental qui permet la relative continuité est la mémoire et le tracé symbolisé des choses". Une génération c'est une mode intégral d'existence qui se fixe ineffaçablement dans l'individu.

Ces observations sur l’existence et la notion de génération, ne sont pas éloignées de celles de Donatoni qui le mènent à une sorte " d’immobilisme " esthétique, suivi de la négation volontaire des mutations et qu’il situe entre la métaphysique et le constructivisme. Donatoni caractérise ainsi son mode de pensée et le développement de l'indécision à travers une attitude défensive de la résistance. Il devient par conséquent le reflet de l’objectivation de l’œuvre à partir de la préexistence et réfute ce qu’il considère comme la décadence de l'art selon l'interprétation nietzschéenne, l'art est plus que la vérité.

Ces affirmations nous amènent à la situation italienne et plus particulièrement, du temps de la formation scolaire de Franco et à l'esthétique "contemporaine" de Benedetto Croce (1866-1952), ancien ministre de l’éducation, puis président du parti libéral italien après la seconde guerre mondiale. Celui-ci inverse le processus d'analyse et propose en premier ce qui n'est pas de l'art, notamment la vraisemblance. L’héritage de sa pensée étant post-kantienne et hégélienne, deux courants principaux sont représentés en partant du philosophe Bertrando Spaventa (dont la mère est Maria Anna Croce) qui meurt en 1883, et qui laisse à son tour deux disciples: Benedetto Croce et Giovanni Gentile.

Entre 1902 et 1912, Croce expose une conception originale de la création ainsi que du langage artistique où l'unité intuitive du contenu et de la forme de l'œuvre apparaissent comme essence même de l'acte et fondement de l'esprit. Processus " d'ésthétisation " où l'esprit devient la chose, une entité fondamentale, justifie l'âme comme génératrice du sentiment et s’inscrit dans la continuité hégélienne par l’affirmation de l'intériorité en tant que contenant de l'esprit: ...L'esprit a pour essence la conformité de lui-même avec lui-même, l'unité de son idée et de sa réalisation. Il ne peut trouver de réalité qui lui corresponde que dans son monde propre, dans le monde spirituel du sentiment et de l'âme, en un mot, de l'intériorité. Par là il parvient à la conscience d'avoir en lui-même son objet, son existence comme esprit, à jouir ainsi de sa nature infinie et de sa liberté.

En parlant de l'art en général, Croce attribue deux formes à la connaissance: la première intuitive et la seconde logique. L'allusion à la connaissance intuitive notifiée par Kant est à exclure, car Croce fait état d'une connaissance dont l'intuition dans l'art constitue, non pas l'espace et le temps mais le caractère, physionomie individuelle. L'intuition dépasse ainsi la sensation et la perception et se présente comme un acte de l'esprit. Ainsi cette intuition est l'unité indifférenciée de la perception du réel et de la simple image du possible.

En résumant, Croce considère que l'art est la forme aurorale de la connaissance sans laquelle on ne peut comprendre les formes ultérieures et plus complexes.

A l’interrogation de Hegel concernant le pourquoi du besoin que l'homme produise des œuvres d'art, comme nous l’avons évoqué, B. Croce développera en sept points ce qui n'est pas l'art. Voici un bref résumé de son analyse. Dès le premier point, il souligne ce qui apparaît comme intuitif dans la connaissance : L'art n'est pas la philosophie parce que la philosophie est une réflexion logique des catégories universelles de l'être alors que l'art est intuition irréfléchie de l'être. Il différencie par cela la spécificité de la logique sensitive et les fondements de l'esthétique de la logique dialectico-conceptuelle dans le second point: l'art n'est pas histoire parce que l'histoire suppose des distinctions critiques entre réalité et irréalité, la réalité de fait et la réalité d'imagination, la réalité de l'action et la réalité du désir; et l'art, en deça de telles distinctions, vit, comme nous l'avons dit, de pures images.

Le troisième point précise: l'art n'est pas science naturelle parce que la science naturelle est la réalité historique classifiée et rendue abstraite; pas davantage science mathématique parce que les mathématiques utilisent des abstractions et ne contemplent pas.

Quatrième point: l'art n'est pas un jeu de l'imagination parce que le jeu de l'imagination passe d'images en images, poussé par le besoin de variété, du repos, .....tandis que dans l'art l'imagination est tellement retenue par l'unique problème de transformer le sentiment tumultueux en une intuition claire que l'on a jugé plus d'une fois opportun de ne pas l'appeler "imagination" mais..... fantaisie poètique...... Ce point a son importance car il ne diffère pas de celui du concept de Donatoni, qui définie la connaissance intuitive, comme une connaissance qui est distincte et qui résulte de la connaissance symbolique.

Cette notion de distinction caractérisant la connaissance intuitive, détermine la perception relative et anticipée des microstructures constitutives de la macrostructure, et détermine le rôle de l'infiniment petit, de continuité et de cause finale. Certes, en ce qui concerne Croce, l'art poétique est une fantaisie créatrice née du hasard de la décision, et par conséquent seul l'inspiration de l'esprit peut produire une architecture concrète relevant de l'art. Mais dans ce cas, l'idée de l'harmonie préétablie n'a plus qu'un sens symbolique.

Cinquième point: l'art n'est pas le sentiment dans son immédiateté. L'argument de Croce est de dire qu'une image dramatique doit être traitée de façon expressive et non excessive.

Il fait ainsi une allusion à la vertu, ...En effet on voit le sentiment, non pas vécu pathétiquement mais contemplé, diffuser en larges cercles dans tous le domaine de l'âme qui est aussi le domaine du monde, avec des échos infinis. Cette conception est d'une grande importance car partagée aussi bien par Adorno que par les compositeurs de musique sérielle, et s'inscrit dans le concept Donatonien de la création. Parmi les préférences correspondantes à ces convictions, Adorno faisait état de compositeurs comme Brahms et Schönberg, auxquels nous ajouterons Fauré. Les deux Requiems montrent cette vertu d'une grande pudeur. Cela va dans le sens de la critique de l'esprit de masse qui dénature au regard d'Adorno la valeur de l'élévation de l'esprit que seul une attitude contemplative permet. C'est certainement le fond de la pensée d'Adorno, qui donne la définition de ce qui est valeur subjective et qui devient une valeur fondamentale de la conscience sans finir sa trajectoire dans la notion de masse. Elle gravite comme une chose "pure" et intouchable mais contemplée. Croce dit dans la continuité de son analyse: le sentiment même en gardant sa physionomie individuelle et son caractère originaire et dominant, ne se limite ni ne se réduit à lui-même. Cette vision sélective de ce qui est donc a un sens existentiel et fondamental à l'œuvre d'art, mais utopique de par l'impossible réplication. L’unicité de l'objet détermine l'infinité de la chose vraisemblablement finie, tout le reste étant gâchis. On rejoint dans ce sens l’écrivain Samuel Becket, que nous aborderons plus loin. A ce titre nous avons un cas de causalité concernant l’objet du fétichisme.

Dans le sixième énoncé de ce qui n'est pas art, Croce affirme: l'art n'est ni didactique, ni oratoire, c'est à dire, utilisé, asservi et limité par une visée pratique quelle qu'elle soit, comme d'introduire dans les âmes une certaine vérité philosophique ou scientifique ou encore de les disposer à une manière particulière de sentir et à l'action qui lui correspond.

Il considère que l'art oratoire retire à l'expression tout à la fois l'infinité et l'indépendance et, en faisant le moyen d'une fin, la dissout dans cette fin. De là, ce que Schiller appelle le caractère d'indétermination de l'art, par opposition à celui de l'art oratoire qui est de déterminer ou d'émouvoir. La définition correspond parfaitement à la conception du Questo, l'ouvrage que Donatoni écrivit pendant sa période déterministe. L’ouvrage présente l'aboutissement nihiliste du processus d'expression et de la recherche d'un univers insondable et non paramétrables par l'esprit envers ses propres sens. Croce cite à ce propos l'exemple de la poésie politique qui ne s'élève pas à la sereine et humaine poésie.

Le septième et dernier point de cet exposé à un caractère puritain. L'art ....ne se confond-il pas avec aucune des autres formes d'action qui chercherait à produire certains effets de plaisir, de volupté ou d'agrément ou même de vertueuses dispositions et de ferveur pieuse.

La problématique du timbre instrumental et de sa complexité demeure dans la vraisemblance avec laquelle est dépeinte et transposée l’œuvre lors de sa mutation poétique....comment pourrait naître cette synthèse esthétique qu'est la poésie si ne la précédait l'émotion d'un état d'âme? Si vis me flere, dolendum est..., Et cet état d'âme que nous avons appelé sentiment qu'est-il donc d'autre que l'esprit tout entier qui a pensé, a voulu, a agit, et pense et désire, et souffre et prend plaisir et se tourmente au fond de soi ?

 

Giovanni Gentile, le second disciple de Spaventa, représente l'exemple vivant de la situation "d’incertitude" dans laquelle se retrouve l'Italie dans les années '30. Partant toujours de l'enseignement de Hegel, Gentile renonce à toutes réflexions et critiques humanistes en privilégiant les valeurs nationalistes. Cette simplification aboutira à l'actualisme et l'identification du débat et de la décision sociale par la mise en avant de l’idéologie fasciste. Il succédera à B. Croce au Ministère de l'enseignement du temps de Mussolini et en tant que membre du conseil fasciste il sera exécuté par la Résistance.

Les trajectoires de Gentile et de Croce montre la scission qui a lieu dans l'attitude des intellectuels italiens à partir des années '24.

La cassure qui suivra, de par les événements, trouve son explication non pas dans la continuité et la progression de la réflexion, mais plutôt sous l'aspect d'une déviation vers l'extrême, de la classification des pouvoirs dans le domaine culturel, rompant ainsi un certain (mais superficiel) équilibre, devenu traditionnel, héritée de la socièté du 19ème siècle. 

L’Italie de la première moitié du XXème siècle est confrontée à sa propre histoire politique liée à l'évolution culturelle qui subit toutes les turbulences depuis l'unification tardive du pays, les tendances expansionnistes militaires, les crises du monde rural et industriel des années 1907 et 1911, l'exode vers les grandes villes pour une reconstruction et l'affirmation de l'identité italienne. Alors que la culture du post-Risorgimiento avait subi une forte influence de la part des impressionnistes et écrivains français, faisant suite au vérisme garibaldien, les intellectuels italiens d'après 1882 s'orientaient vers l'école allemande et la vision scientifiques des viennois. Avec Croce et Gentile, l'école néo-hégélienne qui marqua le tracé philosophique de la seconde moitié du XIXème siècle, se transposera dans les bouleversements politiques à travers la poussée d'un socialisme à caractère révolutionnaire dont l’un des objectifs est l'anti-cléricalisme et la remise en question du Vatican. C'est ainsi qu'un certain Benito Mussolini né dans une famille socialiste et athée se retrouve en 1912 à Milan rédacteur du journal socialiste Avanti, puis, avec les finances des industriels interventionnistes il crée un éditorial du nom de Popolo d'Italia où il développe ses dons de polémiste et les thèmes nationalistes.

L'évolution de la société Italienne vers le marasme et la violence des années '26 fait naître une préoccupation fondamentale existentielle et existentialiste.

La contestation du "garibaldisme" d'un écrivain comme Gabriele d'Annunzio n'est pas seulement la révélation d'un esprit de "manifeste", sa véritable réflexion, se retrouve dans la vision d’une modernité des libertés créatives. La notion de "masse" qu'analyse l'Institut pour la Recherche Sociale de Frankfurt où on retrouve Max Horkheimer, Theodor Wiesengrund Adorno, Herbert Marcuse, Jurgen Habermas et Walter Benjamin situe la position, la projection et l'interprétation de la traduction des sens, faits et actes de la "masse" dite populaire. Ce qui est indéniable c'est que la succession rapprochée d'événements militaires, politiques et des différentes dictatures indépendantes de tout ordre religieux, crée une certaine "confusion" au profit de mutations sociales où des "domaines réservés" attribués traditionnellement dans la configuration des classes sociales se retrouvent démocratisées. Cela soulève la question existentielle de l'individu, de l’être humain remarquable.

En 1927, date de la naissance de Donatoni, il y avait déjà plusieurs déclinaisons de la musique populaire et la recherche de la musique de "l’avant-garde" destinée aux rares "originaux", très peu admise et reconnue, surtout dans les campagnes. Certains musiciens n’admettaient les œuvres de B. Bartok et de I. Stravinsky que sous l’aspect de la transposition et transformations "originales" dans l’écriture dite "savante", des sources thématiques provenant de la tradition orale populaire. Lorsque Adorno qualifie la musique de Franco Donatoni comme non fétichiste, il considère que les emprunts de Franco, sont des "matériaux" et non pas des thématiques. Ces matériaux forment l'aspect profond de la recherche d'un langage technique et dans ce sens on peut souligner que la production de Donatoni est authentique.

La preuve est faite aujourd'hui en raison de certaines œuvres composées dans les années 1992, après la mort d’Adorno (1969 – date de l’écriture du Questo) Donatoni va jusqu’à inclure dans l'architecture formelle de ces œuvres différents citations de styles, de Mozart au jazz et qui demeurent des caractères de personnages et non pas des thématiques développées.

Toutefois, W. Adorno à la différence de son "souffre-douleur" B. Britten, avance des théories sociales plus que critiquables du point de vue de la créativité dans le domaine des musiques improvisées et autodidactes du jazz. Les interprètes de ces musiques destinées aux "masses", font l’objet de l’acidité critique de l’analyse d'Adorno, lorsqu’il présente ces hommes aux grandes bouches qui laissent apparaître des grandes dents blanches.

Sans s’attarder sur cet aspect critique d’Adorno, nous touchons le problème de causalité qui est fondé sur le rapport de verticalité entre les classes sociales, entre la perception sensitive des valeurs assimilées et "l’apprentissage de la curiosité" ouvrant les voies de l’entendement jusqu’à la formation de l’esprit. Souvent la classification (surtout dans la vraisemblance des "périodes tampon" de l’histoire) mène à la non-communicabilité des langages sensibles et à la linéarité "étagée" de la société. Du point de vue esthétique, la progression de la trajectoire entre avant-garde et postmodernisme dans la créativité des artisans et des artistes, constitue la transmission générationnelle des qualités qui édifient les valeurs. Ces qualités mettent en valeur les différents "courants" qui composent la l’enchaînement des époques de l’histoire, et par analogie - même éloignée de part son domaine - le pragmatisme, philosophie de la signification de Charles Sanders Peirce (1839-1914) et William Peirce (1842-1810) - qui prônent une métaphysique scientifique.

Malgré le fait que Franco Donatoni ignorait toutes ces recherches,  s’identifiant lui-même à un artisan (à l’image d’un travailleur manuel), il développe un enseignement strictement technique avant de le présenter comme la vraisemblance de sa poétique. Insistons sur ce qui est clair au sens de la perception quantitative des données et d'intelligibilité symbolique envers la réceptivité et de la disposition réceptive d'un ensemble d'individus, sorte d’induction de l’entendement d'une œuvre auditive qui ne fait pas partie de celles destinées à "plaire" et qui relèvent du pastiche. Les exemples des Trois improvisations que Donatoni écrivit dans sa période de jeunesse et de formation à Darmstadt, et aussi quand il emprunta, à cette même époque, 363 séquences à Stockhausen pour édifier son œuvre à partir de la transformation d’un matériau sonore, sont des exemples de déconstruction afin aboutir à un langage propre et original.

Pour l'anecdote de transition et afin d'aborder la relation Donatoni-Beckett citons le psychologue James William ....le moi enveloppe tout ce que l'homme peut appeler sien, non seulement son corps et ses facultés psychiques, sa maison, sa femme et ses enfants, ses ancêtres, mais encore ses vêtements et ses amis, sa réputation et ses œuvres, ses champs et ses chevaux, son yacht et son compte en banque.

 

Un écho : sono Questo

 

 

Questo

('68-'69) et Antecedente X ('78-'79) représentent la culture "artisanale", quasiment autodidacte et véritablement intuitive, du maestro italien. La première (Questo), définit et amorce le second ouvrage (Antecedente X) qui questionne, poétise et marque la voie de l’indétermination. Plus tard "Il sigaro de Armando" (1982) n’est plus que la confirmation journalistique de sa vie à partir de 1964.

 

Questo est un ouvrage qui correspond au processus d'une psychanalyse consciente, exemple significatif de ce que représente l'acte de la décision dans la terminologie de crise. L’idée de l’ouvrage provient du hasard d'une conférence sur la linguistique musicale. Il passe ainsi à l’acte en réagissant, en définissant et en confrontant ce qui lui paraît possible ou impossible dans les rapport entre écriture et notation musicale.

L'interprétation de son texte est double: celle du compositeur se tente de limiter le discours en le formalisant et celle de l’orateur qui s’efforce de créer un parcours logique en "mixant" une multitude de sens provenant de la transversalité de ses connaissances.

A travers quelques exemples d'abord en français, tenter de trouver un fonctionnement logique du texte, puis en italien sous sa forme linguistique.

Certes, les philosophes dont le langage tend à la précision terminologique, considéreront ces propositions comme une provocation imaginaire à la Duchamp ou  Dali, mais en pensant cela il seront au centre de la vérité, car encore une fois, ce texte représente la provocation du raisonnable envers l'esprit afin de résoudre et aussi de déclencher le "déclic" qui fait d'une "chose" réelle une chose irréelle, c'est à dire une expression artistique. Par conséquent nous prenons le risque de dire oui, ce texte a non seulement une signification précise, mais sa subjectivité est fondamentale à l'existence de Donatoni.

L’ensemble de la conception de l'ouvrage repose sur "Dix propositions" desquelles nous citerons et commenterons celles qui ont une relation avec la terminologie philosophique.

1

- Tenter de découvrir l'impersonnel dissimule l'acceptation de l'antécédent et une correspondance qui exige la connexion existante entre la présence d'une matière sonore et d'un processus évolutif qui s'épuise au moment où le cas pourrait indiquer à chaque fois cet unique axe vertical ou les conséquences de l'événement sonore.

 

Une des interprétations les plus plausibles que nous pouvons faire repose sur la constitution du "dictionnaire lexical " de l’expression chez Donatoni. Ce qu'il appelle découvrir l'impersonnel est l'ordre préétabli dans lequel il se placera en tant qu'entité relative. Cette relativité du fait des correspondances (ou d'une correspondance) qu’impose l’environnement préexistant à la matière sonore (ou pas) et qui génère à travers un mouvement interne un processus évolutif dont l'érosion à travers le temps, l'épuise à des moments déterminés par sa propre trajectoire se vérifiant sur un axe vertical fictif ou harmonique de par les conséquences de l'événement sonore (ou pas). Soulignons deux choses:

  • la première est que la matière constitue la substance du matériau sonore. A partir de cette définition nous pourrions spéculer à ce sujet en prenant deux exemple : celui des explications de Diderot en dialoguant avec d’Alembert ébahit devant l’argument du bloc de marbre rendu "vivant", ou alors le sujet du devoir que Simone Weill qu’elle présenta à ces 17 ans dans la classe d’Alain. Elle exposait au sujet du tas de pierres qui constitue le temple, la place et la finalité de l’entendement qui l’identifie et l’intégre à une architecture spécifique.

 

 

         Le fait que ce tas de pierres soit un temple et non pas une autre réalisation, lui attribue l’image subjective d’une culture préexistante et une projection dans l’imaginaire répondant à des critères symboliques précis et confirmant un automatisme de l’entendement du vraisemblable. Dans le cas contraire où l’entendement ne serait pas assujetti à une image subjective d’une culture préexistante, donc qu’elle ne ferait pas appel à l’automatisme qui attribue le matériau dans la vraisemblance d’une œuvre qui lui est prédestinée, nous aboutirions à l’alethèia de l'invention antérieure à la création. D'autre part, que l'objet (le temple) soit une structure trouvant son origine dans la mémoire détermine l’automatisme de l’entendement de celui qui perçoit.

La relation entre l'invention et la création est un des points principaux entre l’artisan et l’artiste. Ainsi le fait que Franco Donatoni se considère comme un artisan le place dans une catégorie inexistante dans la musique dite sérieuse, et cela malgré une terminologie plus ancienne que celle d'artiste. Il est par ailleurs possible qu'une telle terminologie de la création, ne pouvait concorder avec l'esprit élitiste et la vision marxiste d'Adorno et même de Benjamin, car de mémoire, un artisan est un ouvrier, donc un "fragment" de la "masse" et non pas de l’accession à la bourgeoisie tant critiquée et convoitée. Dans ce sens, un artisan perd tout le bénéfice du regard social de l’artiste; il devient commun au regard de l’objectivité de son métier.

  • La seconde remarque est basée sur l'enchaînement avec: un processus évolutif qui s'épuise au moment où le cas...Ce qui est évolutif est désormais le matériau sonore issu de la matière préexistante. Par conséquent le processus évolutif traite les différentes transformations ou mutations du matériau de base qui à désormais le rôle de matériau générateur à cause du mouvement et de la dynamique qui lui sont impulsés. Dans le cas de la musique, en n’utilisant que les sons traditionnels, le résultat donne lieu à une multitude de possibilités qui se divisent non pas graduellement mais constitue un " ensemble d'ordres " se transformant et évoluant dans une structure formelle libre.

 

Par conséquent deux aspects ressortent de cette démarche : si la forme est finie dans l'absolu c'est la structure qui devient souple et si la structure est finie elle devient le contenant de la forme ouverte. Prenons le cas d'une fugue de l'éternel et grandissime J.S.Bach, dans le second cahier du Clavecin tempéré:

 

 

 

 

 

 

Nous constatons que du moment où la structure harmonique s'épuise, s'éloigne du sujet et lui devient étrangère et rentre en conflit avec la forme qui régit les modulations  finissant par l'impossibilité de continuer la strette, le procédé cadentiel donne lieu à une certaine "élasticité" lors du processus des modulations (passage d’une tonalité à une autre).

Dans le second cas où la forme est "ouverte", c'est à dire signifié du processus de mutation du matériau générateur, l'épuisement du matériau est défini par le processus combinatoire indifféremment de la technique d'écriture utilisée. Le point commun entre les deux formes se trouve au niveau de l'identité sujet-matériau, car les deux sont tributaires des rapports des intervalles qui les composent, de leur longueur et des paramètres de hauteur et timbres.

Le rapport des intervalles nous emmène directement à la seconde proposition que Donatoni formule dans Questo.

 

2 - L'intervalle entre le possible et la série indéfinie détermine la réalisation, même si les phénomènes suivant un genre qui paraît absent suggéreraient une répétition qui comporte la dissolution de la technique compositive, tandis que la séparation d'un matériau sonore de toute virtualité stérile la rend indifférente à la soumission.

Si ce qui est possible représente ce qui est théorisé antérieurement, alors il y à effectivement détermination de par le matériau de la réalisation. La suite de la proposition nous l'interpréterons suivant le principe de B. Croce, principe par lequel une vraisemblance ne peut avoir une valeur d'œuvre d'art. Quant à la dernière partie qui utilise l'expression fantaisiste de virtualité stérile, elle n'a qu'un sens conceptuel qui détermine la nécessité de l'unicité du matériau afin qu'il puisse être inclus dans un ordre et qu'en tant qu'objet sonore il puisse générer des figures.

 

4 -

La quatrième proposition propose une variante où il y a erreur, c'est à dire où il y a cette séparation entre matériau sonore et virtualité stérile: L'erreur qui pénètre la certitude de la séparation survenue, précède le témoignage qui se manifeste au moyen des références entre les deux termes, en dehors du musicien œuvrant comme un fait qui, n'étant qu'un accident, ne sous-entend pas l'antécédent et donc la correspondance appartient à différentes formes de chronologie, mais tandis que, dans le conséquent, les méthodes d'analyse habituelles seraient de toute façon déterminées quantitativement, une série dans laquelle l'instant d'intuition n'est pas repérable dans l'histoire, ne compromet pas sa localisation chronologique précise.

Dans ce cas précis Donatoni évoque toujours la relation entre celui qui conçoit l'œuvre et l'interprète de celle-ci. Cette relation fait état de l'absence de ce qui est l'antécédent au sens conceptuel de l'œuvre et de son édification ; l'objet n'est perçu que sous son aspect fragmenté s’inscrivant dans les dimensions linéaire et volumétrique des durées-temps. Ainsi l'interprétation figurée de l'œuvre n'est qu'une découverte accidentelle de son ensemble, la finalité étant la compréhension du conséquent. Le fait d'analyser l'œuvre ne permet qu'une forme de connaissance quantitative, et l'observation des micro-éléments constitutifs de l'ensemble ne révèle pas l'origine intuitive mais permet une localisation chronologique des différents événements signifiant l'œuvre. Ceci fixe les rapports: conception-exécution-perception.

Cinquième

proposition: Les méthodes de composition interviennent dans la socialisation à travers la rectification probable d'une progression de la matière sonore, tandis que chaque décision en formation agit sur les modes de comportement, présuppose la perte de quelque chose qui en est le soutien, ne peut subsister dans les apparences et sa réduction est toutefois concevable à condition que la force de gravité oppose à la condition opérationnelle une réflexion sur l'absence.

La "socialisation" de l’œuvre, issue des méthodes de composition et non pas des styles, engage le compositeur à faire des choix et révèle sa détermination de procéder par rectifications successives de la progression de la matière sonore. Cela implique la réduction progressive du matériau sonore jusqu’à la perte de l’axe d’équilibre de sa structure à travers le déroulement dans le temps. De cette sensation d’absence d’équilibre structurel, le compositeur doit sauvegardé "la force de gravité" induite au mouvement de la structure et engagé sa réflexion. La correction qui a comme finalité le "contrôle" de la sensation, implique symboliquement la perte d'éléments sonores de soutien. Par éléments de soutien et non pas quelque chose qui en est le soutien, nous tenons à préciser la nature matérielle de cette perte dont la chose est constituée. Cette notion de perte concerne les éléments de soutien à cause de la redistribution des donnés et implique à son tour une réflexion sur l'absence. Il faut comprendre par force de gravité le paramètre qui équilibre tout mouvement lui octroyant un rythme régulier en rapport avec la condition opérationnelle; c'est à dire lors d’un état d'inertie se transformant en automatisme du fonctionnement d’ensemble (action relative aux paramètres du mouvement des sons). Donc la réflexion sur l'absence prend la signification de la neutralité de l'acte subjectif et sa tendance à fondé dans l'irréel une méthode de l’ordonné. C'est en quelque sorte ce qui est œuvre déterministe et ce qui est l'indéterminisme par rapport à toute formulation d'ordre.

 

Sixième proposition: Dans un contexte où la représentation de la rigidité originelle est à considérer comme déterminée quantitativement, on peut voir une invitation à l'acceptation de sa propre dissolution, le consensus réside peut-être dans la mauvaise compréhension de la réalisation conséquente sans ignorer que (si) l'indétermination implique un mouvement, l'espace n'est qu'un éloignement effectif d'une quelconque position puisque le désir d'assumer cette technique de composition présuppose que l'acte de composition ne soit pas cette certaine technique mais l'attitude du musicien qui peut admettre la négation qui lui est inhérente.

Le sens de la perception quantitative est employé pour signifier le processus d’entendement selon la représentation des donnés historiques (de la mémoire) à un moment précis du présent. Cela mène à la réflexion que certains "présents" à différentes époques, révèle la prise en considération quantitative des événements de l'histoire, ce qui engendre une sorte de "compression" revalorisant de manière subjective le regroupement des donnés. Cela mène parfois jusqu'à la dissolution de certaines techniques de langages que j’appellerai sensibles, ou également des contenus signifiant qui ne trouvent plus leur raison d'être dans le présent respectif et demeurent ainsi comme des vraisemblances des vérités historiques du passé. C'est une proposition possible afin d'expliquer le phénomène de déconstruction par le regroupement des éléments historiques telle une condensation dont on ne ressent plus que l’essentiel relatif. Ce rapport mnésique du "stockage" dans le sous-conscient et les révélations sélective dans la conscience des présents successifs, permet d’admettre la négation comme l’affirmation de l’action constructive et créatrice.

Par rapport au mot dissolution, Donatoni constate un consensus qui révèle des attitudes d'indéterminisme dues à des état affectifs et d'instabilité en absence d'une vision distincte du conséquent. Ceci implique un retour (souvent incompris) à la théorisation, admettant définitivement à travers la négation le retour à la représentation de la rigidité originelle. Donatoni pose déjà, en faisant allusion à "soi" dans les années ‘66, le problème du postmodernisme et de la nostalgie de ceux dont la technique d'écriture représente l’objet figé à un moment (subjectif) de l'histoire et par conséquent refuse toute autre proposition. Cela effectivement est une attitude fétichiste, et par définition un "non-sens" puisqu’elle s’inscrit dans l’idéologie des valeurs opposées à toute démarche créatrice, de linéarité et d’évolution.

Une vision plus anecdotique et ironique du l’indéterminisme comparerait le mouvement d’un ballon qui se dégonfle et qui décrit dans l'espace des trajectoires aléatoires qui retrouveraient un ordre réel calculable a posteriori, tel le conséquent d’une œuvre constituée de figures qui se structurent dans un espace formel déterminé.

    La septième proposition du Questo, est une brève antithèse du sujet de l'indéterminisme: Une détermination est niée grâce à une pluralité par laquelle se traduit l'achèvement de l'expérimentation, y compris dans le cas où (elle) devienne objet; la disponibilité aux seules apparitions est indifférente à chaque action en formation, elle n'est pas présente dans le caractère de l'objet apparent comme si on proposait un repli où l'œuvre consent la possibilité de réussir dans l'abandon du conséquent au non-esthétisme.

Pour bien définir le sens de la détermination selon l’interprétation  de Donatoni, celui-ci enchaîne aux dix propositions des notes expliquant le sens point par point et à sa manière. Par conséquent nous le citerons à nouveau: .....une détermination comme un geste de la volonté qui traduit "l'intentionnalité" en une série d'actes mentaux destiner à reconnaître les conséquences des opérations compositives et en contrôler l'efficacité par opposition à la décision initiale.  L’indétermination se trouve conditionnée par la volonté du compositeur. Cette volonté détermine le choix lié à la stratification d'images successives suscitées par l'objectivité de l’œuvre. Ou alors, le choix de considérer que le conséquent de l'œuvre, synthétisant la multitude d’affects en rapports avec les images engendrées par l’objet et qui se stratifient au fur et à mesure de l’acte de composition.

L'indéterminisme chez Donatoni, se définit comme un "réflexe vital" dont la solution est de résoudre tout équivoque entre les affects et une clarification de la modernité. De sa démarche résulte le souci de s'inscrire techniquement par la notation dans le processus esthétique de l’écriture sonore; cela sans quitter l’équilibre relatif entre le progrès conceptuel et l'historicité de l'évolution des langages appropriés et qui le caractérisent. C'est dans cet esprit que la finalité de sa pensée se retrouve constamment re-conditionnée par le choix du matériau lui permettant de se situer par rapport à la causalité génératrice de l'œuvre. La particularité et aussi les limites qu’il se fixe font de l'objet le noyau générant des multiples figures matérialisant un monolithe complexe et ouvert du point de vue formel. Celui-ci représente la quintessence du "visible" à venir telle la constitution progressive d’un volume dimensionnel sonore, autrement dit de l'œuvre comme entité indépendante de soi. Le fait de placer l'œuvre dans un environnement autre que celui qui appartient à sa nature, doit être perçue dans l’abstraction des éléments qui ont motivés la composition.

En récapitulant le processus entier on constate donc que les préoccupations majeures de Franco Donatoni s’entendraient ainsi:

  • une mémoire fragmentaire de la conscience en commençant par celle qui fixe les automatismes de la notation, souvent en conflit avec celle des interrogations au sujet de l’écriture; les rapports émotionnels entre les attitudes qui déterminent le concept;
  • le choix du matériau est fait à partir du " préexistant dont le contenant est une induction à l’œuvre et détermine la " densité " des valeurs rythmiques
  • le contenant est fonction de la relation intervallaire des sons, et essentiellement de la plus conjointe possible dans le système tempéré (BACH) – à l’image des quatre gênes fondamentaux GABA, le BACH devient la source d'amplification et génératrice des figures qui constitueront l’objet, matérialisant l’œuvre à travers leur mutation et transformation - elles déterminent la forme générale en composant les structures et le combinatoire des éléments fondamentaux;
  • la technique d'écriture et intrinsèque à la poïésis de la notation, signifiant ainsi la volonté du compositeur de maîtriser tout aspect aléatoire par cette homogénéité afin de s'inscrire dans l’évolution stylistique sans modifier les règles "naturelles" d’un système fonctionnel des rapports tempérés des sons.
  • la relation de l'objet formalisé et sa transformation, c'est à dire entre le conséquent de la trajectoire des figures sonores et sa propre évolution à travers ses limites de variabilité. Les œuvres de Donatoni qui suivent l'époque Darmstadt, c'est à dire celles qui paraissent entre 1961 et 1966 soulignent sa situation de crise. Celle-ci se définie par une écriture aléatoire et une préoccupation vers une autre représentation sémiologique du sens du contenu lié au "langage" gestes-musique. C'est une tentative naïve d'une part positiviste et d'une autre structuraliste. Cette problématique mène Donatoni à une situation conflictuelle entre ce qu'il considère lui appartenir en tant qu’invention et ce qui est le réfléchissement de son "soi" dans l’œuvre. Dans ce sens la rédaction d’un discours dans l’ouvrage Questo, représente pour lui, la solution qui permet de transposer en théorie et à travers une analyse fondamentale, les rapports entre sa détermination et l’indéterminisme. Il ira ainsi jusqu'à sa propre négation, afin de trouver la raison équilibrée du mode de pensée et de définir le rapport entre sa subjectivité et l’objectivité dans ses compositions.

 

A priori, le transfert entre les résultat de l’analyse littéraire de son langage gestuel et l’application graphique par la notation traditionnelle, lui définit le déterminisme comme une contrainte du système et le déterminisme comme un processus d’idéation menant à sa propre négation. Pour cette raison, il stigmatise sur le choix du matériau sonore, dont les éléments constitutifs de "l’assemblage" de l’œuvre produisent également des valeurs quantitatives qui régissent l'œuvre du point de vue harmonique (verticalité) en se stratifiant à partir de leur évolution linéaires. Cela argumente et justifie son choix d’utiliser un matériau fondamental minimal et "désensibilisé", identifiable uniquement par le hasard des lettres attribuées aux sons en notation anglaise et qui renvoi à Bach.

 

Voix off

 

Lors de la rentrée en salle pour l’acte suivant de notre "pièce" intitulée Franco Donatoni, nous aurons l’occasion de présenter largement l'analyse des œuvres composées par notre personnage. Permettez-moi juste un avant-goût du sujet.

 

 

Un peu de Darwinisme musical de la  "génériques" des œuvres

 

 

Avec un peu d’humour, le B.A.C.H. est une "formule alchimique" constituée des rapports intercalaires entre quatre éléments fondamentaux. Leur interversions, transposition et mutation déterminent  les différentes typologies sonores qui à leur tour engendrent des formes expressives et vivantes. Précisons toutefois, que le hasard du choix des lettres identifiant les sons, renvoi au nom de J.S. Bach, compositeur référence de l'histoire de la composition et dont le nom représente la relation intercalaire la plus restreinte dans le système tempéré qu’on retrouve uniquement par la facture instrumentale des claviers – notamment le piano.

A tort ou à raison, notre ami Franco Donatoni en véritable acteur interprétant le rêve de d’Alembert, insiste sur le terme évolution, sur le mouvement, la mutation et la transformation, mais rechigne sur le développement, car pour lui toute chose est déjà développée lorsqu’elle devient visible. Egalement une autre raison qui fait que le développement représente pour lui un non-sens par rapport à l'œuvre, est le fait qu’il mène à l'auto-citation, à la réplication d'une thématique et met un terme à la forme ouverte limitant la symbolique. Disons nous, que l’œuvre ne délivre aucun message a priori; elle se constitue par l'assimilation d’éléments qui révèlent la sensation en tant que connaissance symbolique et ressenti des sens.

Le fait de remplacer le développement par des variations, permet d’inventer des figures rythmico-sonores qui progressivement ne font qu’allusion ou illusion du matériau. Ces transformations et ces mutations successives, modifient en permanence l’aspect structurel du matériau, créant ainsi un mouvement de symétrique ou asymétrique des trajectoires des figures, aboutissant par les rendre indépendantes au point de définir à chaque fois un matériau sonore secondaire. Celui-ci deviendrait une nouvelle source de variation et ainsi de suite, jusqu’à l’épuisement des combinatoires possibles. Ceci n'est pas une nouveauté, mais une conception du rapport perceptif qui sort de l’évidence du développement tel que l'analyse des formes classiques l'enseigne.

Un des multiples exemples remarquables serait le solo de flûte dans le dernier mouvement de la 4ème symphonie de Brahms, dont la forme est celle d'une passacaille. Une ligne mélodique apparaissant intégrée à l'œuvre et dont la structure est représentée par une des figures possibles et générée dans l’abstraction de la démarche harmonique fondamentale. Dans le cas de Brahms comme dans celui du Secret de Rodin, ce qui importe n'est pas le message de l’artiste, mais surtout le comment nous percevons l'œuvre en créant notre propre imaginaire sensible dans un rapport entre l’objectivité de la chose perçue-identifiée et la " mémoire affective " subjective, l’objet interprété dans la singularité existentielle de chacun. L’interprétation symbolique ne se situe pas au niveau du concept mais au niveau de la perception de l'œuvre (phénomène signifiant aboutissant de manière aléatoire à une multitude de signifiés). En transposant dans le processus de la variation, cela inverse la suite logique entre l'antécédent et le conséquent. L’analyse du conséquent ne peut plus être technique mais relève des attributs psycho-perceptifs. C'est également par des valeurs relatives aux références  mnésiques qu’il trouve ou non l’universalité culturelle à travers la constitution d’un socle commun de l'entendement – qui au départ se limite au rapport objet-identification.

Le lien avec Donatoni se situ sur le plan du passé musicologique et souvent ceux qui attribuent à l'Histoire une valeur uniquement dans la globalité et l’affectivité événementielle, oublient souvent que l'Histoire est un mouvement linéaire vivant (infinie temporalité dont la nature ne mesure par les périodes mais s’inscrit dans leur enchaînements). En cette raison les événements ne représentent que la périodicité, des "volumes" comme c’est le cas en musique par les rapports dynamiques ou en peinture les "éclairages" et les zones d’ombres des couleurs. L’histoire décrite par Tacite, n'a pas d'âme sinon le souffle de son mouvement, elle est ce qu'elle est, c'est à dire tel que nous l'architecturons à des connaissances objectives qui se projettent dans la subjectivité, et dans le cas de l’œuvre à la synthèse mnésique et fictive de son unicité. Reprenant Croce, disons que de ce qui n’est pas une vraisemblance à sa conception, elle devient une vraisemblance a posteriori de sa perception. C’est peut-être par l’inversion de ce parcours des vraisemblances, qu'Adorno gratifie certaines compositions de fétichisme.

Dès la première page du Questo, Donatoni cite Wittgenstein: Cio che puo esser mostrato non puo esser detto (ce qui ne peut être montré ne peut pas être dit). Il annonce d'emblée les fondements et sa définition conceptuelle du contenu de son œuvre musicale différencie l’interprétation traduite par les phrases édifiant la clarté du discours. L'époque déterministe située entre 1957 et 1965, dates de ses voyages à Darmstadt et de sa rencontre avec J. Cage, l’oriente vers la recherche sémiologique et phénoménologique de la syntaxe musicale. Des œuvres comme Puppenspiel, positionnent les structures dans la diversité de la désignation syntaxique d'une "nouvelle" langue qui détermine l’organisation formelle. L'œuvre dans son unicité, devient un ensemble formalisé et analysable à travers la structure et un matériau neutre dépourvu de sens affectif. De cette définition, Donatoni soulignera l’importance de la "neutralité" du matériau régi par le seul paramètre intelligible et notable avec exactitude, c'est à dire le rapport intercalaire (l'intervalle entre deux sons). Ainsi l'intervalle devient le premier rapport, la première relation donnant lieu à la communicabilité. Sous l’aspect d’une auto-analyse, il propose dans Cela une avalanche de références induites en sous-entendus du texte, sans préciser les sources multiples:  Wittgenstein, S. Beckett, B. Croce, Musil, Mach, Marx, etc…et même le terme mediare dont une des traductions peut être Galiléenne. Ce mélange savant demeure finalement assez confus et un lecteur peu avisé le trouverait naïf et d’un caractère presque psychanalytique, que Donatoni lui-même s'octroie, ou alors le reflet du raisonnement complexe de celui qui souhaite se convaincre en argumentant sa démarche créative. Pour cette raison, voici le texte original en italien, suivit d'une traduction: La lingua perduta era quella immediata dell'acusticità pura e semplice, era la perdita delle originarie emozioni destate dal linguaggio ignoto e pur reso familiare dalla propria sintonia con l'oscuro che si ammanta di quotidianità:......la perdita del suono arcano era in verità lo stato di privazione del proprio Sé arcano, non certo il superamento della pseudo-lingua appresa nei manuali o la coscienza storica della perdita. Il bisogno di riconstruire ordinamente il proprio materiale acustico secondo gli artifici che le tecniche storiche consentivano, obbediva forse alla mia congenita passionalità per la riflessione sul suono, al mio istinto di mediare speculativamente ogni emozione primaria,.....  [ La langue perdue était, dans l'immédiat, celle de l'acousticité pure et simple, était la perte de l'origine des "émotions" issues du langage inconnu et pourtant rendu familier par la propre syntonie avec l'obscur qui se mélange (résulte) du quotidien (du jour au jour). La perte du mystère (arcano) du son représentait (era sens était) en vérité l'état de privation du propre (spécifique à) mystère du "Soi", et certainement pas le dépassement du pseudo-langage appris dans les livres ou une conscience de l'historicité de la perte (abandon). Le besoin de reconstruire en ordonnant le propre matériau acoustique selon (en suivant) des artifices que l'historicité de la technique consentait, obéissait peut-être à mon état inné passionnel concernant la réflexion sur le son, à mon instinct de "relationner" (mettre en relation, en médiateur) en spéculant chaque émotion primaire,...]

En lisant cette "plaidoirie analytique", nous réalisons l'attachement de Franco Donatoni à la syntaxe du langage qui est l’argumentation de l'ordre sonore signifiant un "soi" instinctif.

L'indéterminisme et son opposé le déterminisme appartiennent les deux à cette " balance de la modernité " que l’expression humaniste équilibre  à chaque période d’une vie. Franco essaye d’expliquer la destinée des œuvres en précisant qu’il ne s’agit pas d’une relation conflictuelle avec les "autres" mais le comment il pourrait y avoir un rapport entre l'expression de "soi" et "les autres".

Par quelle technique arrive-t-on à créer des correspondances justes entre une réalisation subjective et une interprétation objective ? c'est à dire vers un ensemble ayant la même perception de ce qui est au départ subjectif. De ce point de vue, celui de la technique de notation employée, Donatoni demeure invariable et dans un sens historique, au centre de la "courbe" de la modernité qui depuis son décès revient progressivement au post-modernisme, voir même à l’académisme involutif. Durant sa vie, Franco renonce à voir plus loin  que le système tempéré, ignorant volontairement les micro-intervalles de type quart de ton, etc…. La plus petite partie est représentée chez lui par la relation intercalaire entre deux sons tempérés comme s’il s’agissait du rapport entre deux "entités" sonores signifiantes: celui perçu donc préexistant et celui réalisé donc conséquent. Le socle commun aux deux entités se trouve dans l'expression constituant la causalité d’un "organisme", ou d’une "chose" au sens Kantien du terme; l’intervalle (l’espace intercalaire entre deux sons) étant sa forme "cellulaire". A partir de cela la question se pose: la préexistence des éléments est-elle utile à la réalisation d'une œuvre déclinée par la pensée esthétique, afin qu’elle puisse être originale et référencée dans la contemporanéité ? Une réponse possible est celle que propose P. Boulez dans Points de repère: La pensée esthétique, lorsqu'elle se présente indépendamment du choix, de la décision technique, ne peut conduire qu'à la faillite: le langage se réduit à une simulation plus ou moins retorse, ou à une gesticulation banale, question de tempérament.

La définition de P. Boulez a son importance car elle fait partie des considérations esthétiques de Darmstadt. On constate ainsi que ce qui amena Donatoni à la crise de l’indécision, ne provient pas des protagonistes du cercle de Darmstadt mais plutôt à partir du "projet" de Cage, suscitant une troublante interrogation au sujet du "langage musical".

En pleine crise, Donatoni revient aux bases techniques, en commençant par l'étude du sériel. Mais l'utilisation qu'il en fera sera différente, car il emploiera toujours la même série de quatre sons formant le stricte minimum du matériau, dont la relation entre trois intervalles conjoints fixe l’axe de la structure. L'analyse de ces intervalles attribue des fonctions entre les sons extrêmes et le son pivot, axe central de la représentation linéaire. Son raisonnement conduit à penser que l'indétermination se présente comme un geste de la volonté qui exprime l'intention en une série d'actes mentaux amenant à reconnaître les conséquences des opérations compositionnelles et à contrôlé l'efficacité en rapport avec la décision initiale. .... l'adéquation de comportements particuliers opérant confrontés à un matériau approprié à la finalité.


Le fait d’attribuer à l’intervalle un rôle fondamental, telle une base génétique de l'embryon, Donatoni l'explique dans le cas de ses emprunts, comme celui d’un matériau neutre, plus précisément une série du second mouvement des Fünf Klavierstücke op. 23 de A. Schoenberg, qu'il utilisa dans son œuvre composée en 1967,  Etwas ruhiger im Ausdruck.

Cette œuvre est la première composée après l'année de la "négation" et de la crise de 1966. Elle représente la décision, le choix définitif de Donatoni quant à la technique d'écriture le représentant, et elle résume parfaitement la leçon magistrale du Questo. Donatoni argumente ainsi au sujet de l’emprunt dont il s’est servit : Il s'agissait d'aborder un matériau assez neutre, historiquement localisable mais étranger à une pratique moderne et pour cela "résistant", quasi antagoniste, aux habitudes de l'artisan, un matériau qui outrepasse les possibilités de le contrôler, des vérifications fondées sur la justesse de l'existant, ....

 

 

Etwas ruhiger im Ausdruck - Motif des Fünf Klavierstucke op. 23

de Schönberg

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le traitement du matériau que Franco emprunta à Schoenberg arguments évolue dans  une dynamique à peine perceptible, pp/ppp/pppp. Cela montre qu’il ne souhaite pas l’évidence d’une identification, mais obtenir la "neutralité" du matériau en le présentant comme un fondement structuré des hauteurs. Seules doivent être perçues les relations intercalaires procédant de la lecture linéaire de la basse et qui se retrouvent en augmentation harmonique dans la partie supérieure. On constate également que cette augmentation quantitative de la matière se retrouve en situation de diminution de part sa propre négation (voir le second paramètre qu'est la dynamique). Cette observation trouve un prolongement dans la réflexion suivante : augmentation et diminution sont des aspects équivalents (antagonisme) d'un unique processus qui se définit comme celui du changement (par transmutation): le besoin du changement est la mise en place de la dimension (ital. meta) du développement, ce développement exprime en soi l'unicité de sa dimension et rien d'autre.[...cioè lo sviluppo vuole sviluppo e nient'altro].

 

L’interprétation de la traduction de ce passage du livre explique le fait que le développement n’à pas de relation avec l’objet, puisqu’il représente une dimension contenue dans le matériau même de l'objet.  Dans un autre style et conception de la technique de notation telle la musique dite spectrale, celle-ci procède également de ce type de traitement, mais à la différence que le résultat sonore devient l’abstraction du matériau à travers un "langage" symbolisant. Donatoni pensait que l'amplitude contenue dans le matériau est sujette aux transformations dont les paramètres se basent sur l'édification relationnelle des intervalles et par conséquent produisent un sens lors de la décantation harmonique des sons.  De ce principe de résonance il parle de quantification, de matériau quantitatif qui contient ses propres caractéristiques de dynamique et de densité qu’il reparti au départ de manière symétrique et asymétrique par la transposition qui en découle dans la linéarité.

Ce choix technique qui précède une longue période de réflexion, prend chez lui un sens existentiel de l’ordre formel dans sa quête pour argumenter son identité stylistique et le lien entre la notation et l'écriture qui place l’objet dans le " Temps et l'Espace ". L'expérimentation, en ce qui le concerne, prend curieusement le sens quasi dichotomique de l'empiriocriticisme .

Donatoni crée son expérience et architecture le langage composé de signifiants entre la conscience et l'expression traduisant l'acte de la notation musicale. La signification du mot hasard qu’il emploiera marquera la découverte de la nature de sa propre existence et complémentaire à travers le langage sonore qui remplacera le discours.  A une certaine époque de sa vie, sa vision du hasard aura un ancrage fondamental, celui du Questo, où le compositeur confronté à sa nature, se retrouve dans une situation limite.

Son propos est que pour réussir à résoudre et venir à bout de l'indécision, il faut avoir franchi l'outre-tombe et finir la partie avec Perséphone, c'est à dire être à l'état extrême du dépouillement, de l'immobilisme, donc de l'abandon de toute spéculation du vrai, abandon de l'expression artistique et du choix du discours.

" Peut-être " est-t-il l’unique expression de la différence ? ; de la qualité par laquelle se différencie, expression minimale d'une diversification maximale, origine non pas de la probabilité mais de l'incertitude de ce qui apparaît. Cela détermine la façon dont Donatoni concevait poétiquement le hasard lui " offrant " un matériau se situant dans l’abstraction des antécédents extérieurs au soi qui "sculpte les figures de  l'objet".

Franco traduira cette pensée par l'écriture d'œuvres comme Zcardlo en 1963 et Asar en 1964. Dans Asar, il ajouta au hasard de la constitution du matériau, le hasard du résultat sonore; c’est la différence entre le geste qui détermine l'acte signifiant, l'exécution et l’interprétation d'un complexe sonore architecturé par celui-ci et les composantes du matériau sonore.

Pendant nos discussions au sujet de la notion de hasard dans ses œuvres,  je lui raconté l’usage que des jeunes enfants faisaient lors d’animations scolaires avec l'U.P.I.C. de I. Xenakis ; dispositif complexe de création musicale qui date des années 1967, et dont une des grandes qualités était la constitution du rapport image-son. Les jeunes élèves dessinaient ce qu’il imaginaient sur une table millimétrée (fractionnant les sons) et pouvaient entendre le résultat sonore du graphisme réalisé, par exemple celui d’un chat. Evidemment que le "miaulement" attendu en rapport avec le dessin, n’avait rien avec celui d’un chat, même très cultivé soit-il, ou alors il fallait penser à un chat poète récitant un poème.

 

 

Du spéculatif à l’analyse de la démarche de composition

 

 

Plus sérieusement, de cette anecdote il reste néanmoins que l'application d’un graphisme d’un sujet identifiable devenait le prétexte à une réalisation abstraite de par le résultat sonore. L'empirisme d'une telle application réside dans le résultat obtenu, c'est à dire dans l'état continuellement expérimental qui fait apparaître le non-sens directe entre l’identification commune d’une représentation et de l’entendement d’une œuvre musicale donc non-visuelle. Il nous paraît difficile de faire croire que l'ouvrage d'un architecte comme Le Corbusier se retrouve représenté dans une œuvre musicale de la même manière que sans le savoir, un public puisse ce représentai la Chapelle qui est à l’origine de Métastaseis pour orchestre de Xenakis. En prenant le risque nous dirions que Bergson lui même jugerait incompatible les deux notions de temps déterminants la façon de percevoir les deux œuvres: architecturale et sonore.

Pour résumé la théorie du hasard Donatonien – à l’opposé des calculs stochastiques –il s’agit du préexistant et ignoré, donc une découverte "en boucle" d'un ordre mental créatif et subjectif, édifiant l’œuvre. Donatoni émet ainsi une analyse de " l'erreur " telle qu'elle se présente dans la formulation de la période 3, dans sa troisième proposition. Il trace directement entre l'ordre, principe d'organisation, du sens et faits signifiés par la terminologie, et le concept musical. L'expression qu'il remet en cause est in cui (dans lequel):

 

1. in cui fait apparaître des fonctions partiellement différentes:

a) indique une relation du contenant au contenu;

b) participe à une locution prépositive

(considérant le intus latin = dedans/interieur)

c) participe par similitude à une autre locution prépositive

( dans le même mode du en)

2. la périodicité est irrégulière: y sont intercallés sept vocables la première fois, treize la seconde fois;

3. la quantité syllabique intercalée est, complexification, de 17 syllabes et respectivement, 33 syllabes.

4. la quantité syllabique par unité est parfois irrégulière

[texte original en italien]:


a) il, si = monosyllabique (2)

    svolge, nella = bisyllabique (2)

    potere, misura = trisyllabique (1)

    decisionale = pentasyllabique (2)

b) la, la = monosyllabique (2)

    delle, forme, sua,

nello, stesso, modo = bi syllabique (6)

    assenza = trisyllabique (1)

    possibili, rappresenta

unicità = tétrasyllabique (3)

    fondamentale = pentasyllabique (1)

5. le dédoublement d'une lettre est:

a) nella (1)

b) assenza, delle, possibili, rappresenta, nello, stesso (7): 1 p, 2 L, 3 s.

6. la quantité des lettres est la suivante:

a) 38

b) 78 

 

Une explication supplémentaire du 5 b:

 

 

a ss enza - d e ll e - p o ss ibili - r a pp resenta - n e ll o - s t e ss o

                     1               1 2         1 2              1 2                    1 2         1 2 3

 

 

Nous constatons une double asymétrie autour du groupe pp: la progression du groupe ss, qui se trouve en progression, et la fixité des ll . Cela fait ressortir une autre classification que celle quantitative, c'est à dire un ordre analytique et ouvert à toute édification de structures basées sur une vérité d'origine subjective en raison du choix des mots et leurs successions, mais "universelle" au sens primaire de leurs applications; une sorte d'axiomatisation dont le contenant reflète le contenu et génère une multitude de figures.

Dans le domaine musical l'attribution d'un "objet" ainsi constitué donne lieu, non plus à une attitude spéculative quant à la composition du matériau, mais à une attitude spéculative du point de vue de l'application sonore. La rythmique se retrouve dans l'énoncé, donc ce qui apparaît comme spéculatif procède à partir des paramètres d'amplitude et d'organisation des sons. Si nous prenons en considération la manière d'aborder le problème de la relation intervallaire entre les sons, la technique appliquée induit l’aspect spéculatif en le reléguant au niveau des affects. En peinture le visuel donne lieu à une perception harmonique d’ensemble, propre à l’objectivité de l'image, mais selon le graphisme de la représentation, la symbolique des couleurs et l'édification des plans de perception, l’aspect spéculatif de l’entendement se retrouve dans "l'absence" autrement dit au-delà de la clarté des apparences l'image.

Ce "réalisme" se décompose progressivement dans l'espace et selon la durée dans laquelle s'inscrit la perception immédiate et la subjectivité de la mémoire fonctionnelle. Dans le cas d'une composition musicale le principe est le même, sauf qu’il s’agit d’une perception par accumulation linéaire, faisant essentiellement appel à la continuité de la mémorisation. Le point commun avec le visuel est celui de la présentation harmonique et vibratoire d’un ensemble dynamique homogène et non pas mélodique. Moins nous avons d'informations primaires à assimiler mieux nous interprétons le sens poétique dans l’immédiateté, comme dans le visuel. Paradoxalement, souvent la masse sonore se présente dans le durée, quantitativement plus intelligible qu'une phrase à mémorisé - dans sa linéarité - comptant un nombre important de sons. Là également, un processus important de linéarité permet l'évolution du langage à travers la re-formulation des composantes et l’émancipation des phonèmes signifiants (traités d’harmonie et de contrepoint, principe de la variation chez Schönberg, passacaille de Webern et l’œuvre d’A. Berg refusant le sériel stricte etc…). Un des exemples contraires serait le contexte de la thématique qui se suffit à elle-même : le thème des concertos de piano de Schumann et aussi celui de Chopin etc....

La dernière partie du Questo expose la relation du penser révélant l'antécédent et le conséquent dans la conscience avant tout choix et représentation de l'expression composant  l’œuvre – que nous pourrions définir comme Heidegger par une chose. Ainsi, ce matériau fondamental générateur de figures définissant créant l'objet de l’expression, ne comportera que des traces historique et sera l’affirmation d’une entité contemporaine ayant sa place stylistique qu’à posteriori. En partant de ce principe, Donatoni révèle son originalité.

Ce qui le différencie c'est l’invariabilité et le choix des automatismes de la notation qui accentuent et caractérise son originalité stylistique, plus précisément le regard intérieur qu'il porte sur sa conscience afin d'extérioriser son savoir spéculatif. A une époque où M. Kagel prenait plaisir à produire un discours musical à caractère de manifeste, la théorie d'un "nouvel message musical", Donatoni choisit de définir l'acte de la composition par l'analyse des paramètres opérateurs. En ce qui le concerne sa volonté transite par la négation de la propre négation de la continuité, mais de trouver ce qui peut être expliqué afin d'avoir la confirmation de son acte purement musical. S'inscrivant uniquement dans une démarche fondée sur la représentation d'éléments traditionnels, il délimite le champs esthétique de ses applications et de l'expérimentation aux combinatoires. Il exclue tout ce qui pourrait dénaturer le sens de sa pensée et la fonction d'artisan (dans l’esprit manuel) qu'il s'octroie.

 

 

Antithèse du Questo - Antecedente X - Sulle difficoltà del comporre - 1979


 

La double signification du titre Antecedente comme antécédent au sens infini et identifiable par un X, confronté à la difficulté de la composition, reflète sa démarche de transfert au nom de X au-delà de la technique (Questo). Donatoni s'oriente ainsi vers la psychanalyse et l'interprétation des comportements analysant la confirmation l'acte de composer comme fondement à toute décision.

On ne choisit pas son environnement mais on le surmonte, on se compose avec lui, ce qui ne veut pas dire qu'on compose d'après lui. La difficulté de composer se retrouve par la question que Samuel Beckett écrit dans les premières page de L'Innommable: Comment, dans ces conditions , fais-je pour écrire, à ne considérer de cette amère folie que l'aspect manuel?

Je ne sais pas. Pas cette fois-ci. .....C'est moi qui pense, juste assez pour écrire, moi dont la tête est loin. Je suis Mathieu et je suis l'ange, moi venu avant la croix, avant la faute, venu au monde, venu ici. ....Ces choses que je dis, que je vais dire, si je peux, ne sont plus, ou pas encore, ou ne furent jamais, ou ne seront jamais, ou si elles furent, ou si elles sont, ou si elles seront, ne furent pas ici, ne sont pas ici, ne seront pas ici, mais ailleurs.

Mais moi je suis ici.

.

Parmi les nombreuses analyses possibles de ce fragment du texte de Beckett nous soulignerons surtout celle du temporel; de la place du soi créatif et préexistant et du soi générateur des choses dont la symbolique défini la nature de l'œuvre.

Quant à découvrir la nature des choses, la question qu’un scientifique ou un compositeur pose, n'est pas Dieu joue-t-il aux dés ? mais, comment joue-t-il aux dés ? , et surtout pas pourquoi, ce qui nous mènerais à l'impossibilité d'y répondre autrement que subjectivement .

Du Questo au second livre Antecedente X, Franco Donatoni oriente sa réflexion du problème de la définition du "comment" faire pour se reconnaître à travers le miroir de sa conscience et de l’objectivé dans l’œuvre. Le langage exprime, le matériau prend forme; le penser sait mentir, la forme non; la forme du penser est changeante, la pensée de la forme se réalise dans l'attention accordée à la transformation des matériaux; la forme est la générescence spécifique d'un ensemble de faits actuels transcendant les généralités possibles d'un matériau, mais la "mise à nue" du contenu d'un matériau (denudamento gravido) formalisable "sublime" (transcende) l'individuation de la forme particulière qui en cela (le matériau) repose sur la multiplication de "l’unicité" (au sens de regroupement vers l'unicité) des possibles -dei possibili - (édifications possibles). Ce qui est expérimental, aujourd'hui, c'est le compositeur lui-même et à ce titre il l'assume, et en aucun cas ce n'est l'œuvre qui est expérimentale; c'est au compositeur également de trouver la relation entre son acte et le résultat de celui-ci, l'œuvre.

 

 

Divagations psychanalytiques

 

Expérimenter à partir de la connaissance de soi, puisant dans la conscience se heurtant aux "limites" d'un environnement préexistant suppose que l'émancipation ne peut être qu’un enchaînement de choix subjectifs menant à une sorte " d’ordre absolu ". Ce que nous appelons " ordre absolu " est la représentation d’un fonctionnement mécanique à partir d’éléments fondamentaux  dont l'interprétation scientifique ne s’accorde pas avec l’expression sensible et prends différents aspects globalisant de l’interprétation symbolique. "X" c'est l’Etre dans son espace existentiel opposée à "l'Antecedente". X qui est la figure vivante de son propre objet, le Questo..

L'identification de X provoque un effet relationnel inévitable: si X peut se traduire par moi en tant qu'être, sa relation directe qu'il engendre par la chaîne d’automatismes comportementaux, prend progressivement l’identité de "toi" et "lui"; de même que la conscience de X et l'esprit de X ont deux fonctions et origines différentes mais complémentaires de par leur rencontre et si je peut me permettre une " maxime ", l'esprit fait vivre, la conscience lui donne les moyens.

La complexité de cette relation donne à X une présence mais ne résout pas les affects de son passé. X ne crée pas mais constate sa propre mutation et transformation à partir d’un déroulement temporelle découpé par panneaux, comme les décors d’une pièce qui seraient en permanent conflit avec la trame du sujet en éprouvant sa volonté de résister à toute influence évidente et directe. Le choix de la lettre "x" de l'alphabet, Donatoni l'explique comme la lettre la plus symbolique et représentative de l'être humain: deux bras et deux jambes qui signifient les fonctions motrices et dont le point central d'intersection des deux obliques contraires détermine l'identité de "soi" et la dimension d'une conscience.

Etre là

et avoir son indépendance, le lien avec la mère, le refoulement des "idéaux" du père ainsi que la situation affective et conflictuelle qui en ressort lui servent comme des éléments sur lesquels l'esprit se reporte afin d'équilibrer la dualité entre le passé et le présent de sa conscience. Le rapport affectif et émotionnel entre "son œuvre" et la source de son existence s'efface de manière que l'œuvre apparaît comme essentiellement une édification purifiée par l'esprit. Elle - l'œuvre - ne révèle rien d'autre à part la problématique spécifique à la communication, en occurrence musicale, et par conséquent la terminologie d'artisan prend un sens significatif: on compose à partir de soi dans le présent et d’une préexistence induite, invisible.

C'est dans ce sens que Donatoni présente sa pièce Voci comme une "première" œuvre à laquelle il ne s'identifie pas mais dont il est le père. De cette clarté, vers la fin d'Antecedente X, Donatoni fait état de son évolution: Alors, on se souvient de la séparation entre matériaux et acte compositif (Per Orchestra, 1962), l'excentrique hétérogénéité de l'activité formée par les mises en présence (confronti: confrontations) du matériau (IV Quartetto 1963), l'indifférence (l'ignorance consciente) du matériau (Puppenspiel n.2, 1965), l'automatisme et la dissociation du processus/résultat de la codification (Etwas ruhiger im Ausdrucki, 1967), la transformation continuelle des matériaux (Souvenir, 1967 et Orts, 1968), le contrôle de l'acte volontaire (Solo 1968), l'égard à la forme/processus codifiant (Secondo Estratto 1969), la multiplication par accroissement et la réduction automatique (Doubles II, 1970) le processus codifiant en tant que acte exclusif de la réflexion médiatrice sur le chaos et le cosmos (To Earle Two, 1971), le processus en tant qu'auto générateur de schémas formelles (Lied, 1972), le dualisme paramétrique et le rapport numérique en tant que générateur de la forme, (Voci, 1973), la prolifération polarisée autour d' un centre (Espressivo, 1974), l'abondance à partir d'un matériau générateur (Duo pour Bruno, 1975), la réduction du contrôle interne en tant que méthode fourni par les fonctions (moyens) restrictives (Ash 1976), l'amplification en partant des multiplications d'un matériau unique (unitaire) formalisé (Portrait, 1977), la projection dans à distance (espace-temps) de la multiplication continue (Spiri, 1977), l'utilisation des méthodes sus-citées en tant que technique formelle intrinsèque aux supports numériques et la spécificité vocale en rapport directe avec un texte stimulateur d'images (Arie, 1979).


Cette analyse qu'il fait a posteriori de sa production, démontre, vérifie et affirme la cause de la rupture entre la création artisanale et l’attribution "ouvrière" de l'art dans la société.

Le dualisme dans l'esprit de Donatoni, qui souvent à été comparé à la dialectique de son raisonnement, met en évidence le sens même de ce que représente l'acte de composer en prenant la place du "modèle" afin de rendre l'objet vivant dans la continuité de "l’autre". Il préfère se modernisé que d'être moderne, c'est à dire il refoule l’avant-garde et la revendication de la pensée progressiste, par exemple celle de l'évolution technologique des moyens de réalisation sonore et visuelle.

 

X est un nombre identifiable dans l’ordre du Numeri

 

 

De la même manière que lorsque retentit le signal de la "cloche" annonçant l’acte suivant et que les auditeurs s’inscrivent dans l’ordre des choses en prenant place dans la salle,  Donatoni accorde aux nombres le rôle de "piliers" préexistants qu’il déplace en les formalisant et en extrapolant la symbolique qui leurs sont spécifiques.

Numeri

est l’avant-dernier chapitre de l'Antecedente X avant la Conclusion violente. La vision originale de Donatoni se révèle dans la mise en scène des nombres premiers. Il n'y a pas de finalité mathématique mais une analyse élémentaire signifiant des relations symboliques. Donatoni applique d’ailleurs partiellement ces relations à l'édification formelle des œuvres et plus souvent au processus de permutation qu’engendre le cadre géométrisé par les hauteurs des sons, fixant linéairement les points symétriques et asymétriques.

L’aspect quantitatif ressort par la constitution volumétrique du matériau tout en marquant l'autonomie identitaire de chacun des sons du contenant harmonique. Pour illustré cela, prenons l'exemple le plus connu de la cascade qui est un de ceux utilisé pour l'analyse de la théorie du chaos. En énumérant les gouttes constituant les filets d'eau, ce n'est pas en précisant le nombre des gouttes que nous obtiendrons le nombre des filets d'eau. Une observation plus poussée, révélerait l’importance des caractéristiques concernant la substance liquide, son élasticité permettant la fluidité, la visualisation de la masse (densité), son homogénéité directionnelle, le type d’environnement et le type de support à son écoulement assurant la cohésion des flux, etc… Avec un peu d’imagination, adapter cela aux sons en remplacement des gouttes d’eau, révèle des points physiques fondamentaux et fonctionnels semblables. 

En continuant de raisonner ainsi nous constaterions une addition progressive de facteurs qui aboutissent au résultat final, c'est à dire à ce que nous pouvons apercevoir: la globalité d'une cascade que nous pourrions appeler image générant un phénomène complexe mais visuellement synthétisé et qu'édifiera "l’objet".

           Faire correspondre dans l'espace et le temps, d'ordonner et produire des structures géométriques audibles et non pas visuelles, dénote une organisation interne des éléments constituant le résultat globalisant destiné à l’entendement, relève de la démarche du compositeur.

Donatoni, en réduisant la marge du concept d'écriture à la stricte mécanicité du fonctionnement évite le mélange de l’affectif (ne pas confondre avec l'émotion) avec le processus complexe qui finalise l'œuvre livré aux auditeurs.

Le choix que nous avons fait de commencer le chapitre analyse par l'œuvre Voci se justifie également à cette volonté de notre personnage. Nous pourrions de nouveau lui attribué un passage de l’Innommable, qui décrit le désarroi dans le rapport avec les autres ce qu’illustre bien la différence entre ce qui fut Questo et la nécessité d’écrire Antecedente X.: ...Ils m'ont fait perdre mon temps, rater ma peine, en me permettant de parler d'eux, quand il fallait parler seulement de moi, afin de pouvoir me taire.[......] Moi, dont je ne sais rien, je sais que j'ai les yeux ouverts, à cause des larmes qui en coulent sans cesse.

En définitif, Donatoni trouve la force de "récapituler", puis de constater le résultat de son analyse. Il pense résoudre la problématique que lui pose sa mémoire des choses de sa vie confrontés à la composition et de retrouver la cohérence et la continuité avec ce qui doit devenir révolu. C'est aussi pour cela que Numeri n'est pas seulement un "jeu des évidences" mais une auto-analyse qui se déroule parallèlement à la psychanalyse.

 

 

…Entendre sa Voix

 

- Je vois, j'entrevois des images bizarres qui ne peuvent avoir aucun lien avec mon passé: une locomotive qui s'essouffle sur une montée en traînant d'innombrables wagons; qui sait d'où elle peut bien venir, où elle va et pourquoi la voilà devant moi!

Le train, par lequel voyage X et le Fils, s'arrête pour faire une brève halte dans une petite gare perdue dans la campagne.[.....]  Le fils continuera sont voyage seul mais ce qui le réconforte c'est le fait qu'il se trouve dans la gare d'Ostiglia

. - Note: le fait de s'identifier à un niveau de son existence.

 

....Il faut continuer, je vais donc continuer, il faut dire des mots, tant qu'il y en a, il faut les dire, jusqu'à ce qu'ils me trouvent, jusqu'à ce qu'ils me disent, étrange peine, étrange faute,

il faut continuer, c'est peut-être déjà fait, ils m'ont peut-être déjà dit, ils m'ont peut-être porté jusqu'au seuil de mon histoire, devant la porte qui s'ouvre sur mon histoire, ça m'étonnerait, si elle s'ouvre, ça va être moi, ça va être le silence, là où je suis, je ne sais pas, je ne le saurais jamais, dans le silence, là où je suis, je ne sais pas, il faut continuer, je ne peux pas continuer, je vais continuer.

1949

- 1 : naissance, premier panneaux

9 4  9 : symétrie 4+5   4   5+4

ou asymétrie 4+5   4   4+5 ou 5+4  4   5+4 ou…..dans la décomposition et la ramification des nombres…aux choix d’entrer dans les profondeurs de l’évidence