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La première idée

d'une Synapse

 

Voyage dans le miroir

 

- L’œuvre du Miroir.

 

L’image " aveugle ": fragmentation et recomposition de l’imaginaire.

 

L’Etre humain est l’unique espèce qui par l’éducation, a la capacité de s’interroger, entre "l’infiniment petit" et "l’infiniment grand" afin d’assumer sa survie dans un espace-temps fictif, qu’il ne cesse de traduire et d’interpréter sous une forme segmentée linéaire. Alors, être artiste, c’est mettre en évidence l’articulation des espaces volumétriques du temps, se situant ainsi dans l’abstraction. C’est peut-être cela, la première fonction physique productive de la mémoire de chacun. A.T.

 

1ère Partie

 

I. De la condition Humaine

 

 

        Mal-être ou "mal à l’aise", expriment la singularité de l’Etre créatif dans la Cité, lors de ses rapports sociaux et ceux du vivant. Les deux identités – Etre créatif et Cité -  sont à la fois conflictuels et complémentaires - telles les résonances harmoniques - de par l’esthésie des langages du politique. Ces langages synthétisés animent l’iconographie de l’écriture par l’image "parlante" insérée dans l’environnement codifié et s’adressent, tel un acteur muet mais présent, à ce qui compose la mémoire de l’existence.

L’Etre "imaginé" par une projection "imagée", s’expose de manière réactive à la perception générale, à la visibilité et à l’entendement critique subjectif ou objectif, devenant remarquable, mais aussi, sujet de l’oxymore entre la philosophie, le social et la capacité d’assimilation des codifications organisées politiquement.

De la constitution du premier Etre vivant, issu de la convergence d’éléments pour former les qualités fonctionnelles et temporelles de l’existence, nous aboutissons aujourd’hui au fonctionnement "conditionné" d’un système de valeurs de l’existant, où les qualités s’opposent et ne représentent plus la dominante de l’Etre.

Les discours au sujet de la mondialisation, de la politique culturelle de "masse", des aspirations "confectionnées" par les médias politisés selon la pseudo " demande " populaire, les thèses idéologiques argumentées par la philosophie des temps de crises et de guerres qui ciblent l’information et la communication, ne tiennent que rarement compte de la réalité de l’Homme et de son aspiration vitale d’affirmer "sa" valeur en tant qu’identité constructive de point de vue culturel, créative et productive. Souvent l’Homme est présenté comme " l’objet " de la crise. Nous constatons ainsi des recentrages communautaires des pratiques traditionnelles, le retour à la régionalisation des cultures et l’affirmation des identités linguistiques et sémiologiques qui se heurtent aux moyens de régularisation. Cela se traduit également par une assimilation forcée à travers la politique de la modélisation et non pas à travers l’éducation des consciences.      L’image reflétant les "névroses de défense" tant à titre individuel que celui des communautés, se transforme en langage fictif de régulation employée dans un esprit de gestion et de "management" du comportemental de l’Etre Humain. Par la pratique généralisée cela devient la révélation flagrante de "l’injection technologique suscitant les ingrédients de la modernité" qui se réfère à l’immédiateté de l’entendement et à l’usage-utile au détriment du rythme biologique du processus d’assimilation mnésique. Jean-Pierre Changeux, neurologue et directeur de recherche, dans son ouvrage intitulé Raison et Plaisir, précise le processus de mémorisation et du rapport avec le temps.

         La confrontation entre l’Homme et le Pouvoir, transforme les données de la perception et de l’entendement du "sensible", puisque l’Art contemporain et l’Artisanat de la modernité, ne sont plus des valeurs intrinsèques à l’éducation, mais des moyens ajoutés, sorte de libre espace des cultures populaires, devenant ainsi les contre-valeurs historiques opposées à l’appropriation politique des qualités qui caractérisent socialement - de par la diversité culturelle - la Cité. Par exemple, les analyses transversales, voir technocratiques, effectuées en dehors de toutes expériences directes du "vécu" dans le domaine (impliquant la pratique temporelle où l’esprit se retrouve éprouvé par le corps), ne peuvent qu’être attachées aux aspects critiques. Ce type de crise emmenée par l’analyse critique effectuée, développe la pensée synthétisée sur laquelle repose aujourd’hui la plupart des thèses d’organisation sociale et culturelle appliquées par les pouvoirs centralisés de la Cité. Ces pouvoirs démocratiques se heurtent souvent aux replis communautaires et aux aspirations individuelles fondées sur l’affirmation des valeurs culturelles.

Dans ce sens, la Cité, reflète de manière synthétique la projection parfois violente de l’image des qualités existentielles, et par imitation, l’organisation fonctionnelle vitale de l’Etre Humain. En absence d’éducation (païdeia) à partir des transmissions conservatoires où se retrouvent "inscrites" les qualités humaines, ces réactions peuvent devenir violentes et par définition revendicatrices des fondamentaux primaires de l’Etre Humain. La créativité poussée à l’extrême de toutes considérations esthétiques, recherche ainsi la moralité et l’éthique à partir de l’imaginaire traditionaliste d’une appartenance relative à l’identité fonctionnalisée.

Dans certains cas extrêmes, empêcher la créativité "naturelle", induite aux principes d’une chronologie de développement ordonnée sur des bases organiques (topologiques) communes adoptant a posteriori des trajectoires conditionnées et modélisées socialement, peut  aboutir à la souffrance sociale de l’individu que la société récuse ou  "ignore". Face aux pouvoirs qui développent des représentations qui transgressent l’expérience de l’individu et qui n’engagent pas la créativité individuelle (artistique ou artisanale) de l’Etre humain, paradoxalement la " Culture " divise la Cité en communautés et installe un mal-être de la revendication identitaire. Très souvent ces revendications identitaires se retrouvent transformées et "re-projetées" par les pouvoirs médiatiques afin de servir de moyens de régulation esthétiques qui correspondent plus aux aspects commerciaux qu’aux valeurs de la créativité. L’objet usuel signifiant la dérision de l’œuvre d’art (Duchamp), la déformation géométrisée des figures suggestives, l’absence de figuratif en tant que "silence" ou "miroir–cadre" de l’imaginaire du spectateur, le " remodelage" du corps de l’artiste livré aux regards en mouvements, sont autant d’exemples qui reflètent non seulement la volonté de l’artisan de situer l’objet d’art sous un aspect critique face à la modélisation et l’automatisation de la créativité mais aussi la diversité des réactions à toute modélisation imposée à l’expression sensible. Il ne faudra pas confondre le terme modélisation et école de style, car si les deux répondent à des notions du pouvoir, le premier engage la raison et la " gestion " humaine de l’œuvre, alors que le second représente l’aspect d’éducation. Un exemple plus récent serait celui des œuvres littéraires, architecturales, musicales, etc. appartenant à des artisans et artistes d’époques anciennes de l’Histoire et qui font l’objet de collages ou qui se servent de cadres référentiels afin de transposer un concept dit contemporain. Plus précisément, la notion de " création " développée par l’institution théâtrale lorsqu’elle programme un auteur reprenant Roméo et Juliette avec des ajouts et réécriture d’un texte ancien dans un contexte de scénographie contemporaine ; l’annonce d’un opéra de Puccini en tant que création justifiée par une mise en scène minimaliste; l’affiche d’une création musicale sur des thèmes de Mozart, et pour finir en art plastiques – où les exemples sont nombreux – les œuvres de Jeff Koons exposées dans le Château de Versailles. L’artiste devient ainsi fétichiste, en se gardant bien de défendre une œuvre comme le résultat au-delà de la nature même de son fonctionnement affectif et rassurant par des valeurs ancrées dans nos mémoires, qu’il s’agisse d’un lieu, d’un texte ou d’une thématique relevant d’un système référencé, ou également en maquillant sa démarche par l’effet – visuel dans le cas de Jeff Koons exposant un chien " boudiné" de foire "aux pieds" de Louis XIV et Michael Jackson, emblème d’une image composite en guise de provocation,. Dans tous ces cas, la vision restreinte à sa seule capacité motrice, détermine souvent des positions esthétiques au détriment des qualités de l’imaginaire créatif et fait dériver les qualités de l’œuvre vers l’univers où se rencontrent propagande, économie et multimédia.

       En contrepartie l’exemple d’une toile appartenant à Johannes Klopper, exposée au Musée national à Stockholm, très osée pour le XVIIème siècle, demeure " étonnante " car confusionnelle pour l’esthétique de l’époque, mais dans un esprit créatif signifiant les qualités créatives de l’imaginaire. Cette toile permet de constater, de même que pour la facture instrumentale, que l’imaginaire éduqué emmène à un choix stylistique qui ne représente pas la liberté créative, mais la démarche esthétique dans le contexte d’une époque. Sorti d’un contexte et poursuivant une originalité qui individualise l’œuvre expressive en dehors de toutes cohérence historique – même s’il s’agit d’œuvres totalement abstraites -  l’objet visuel ne rencontrant aucune cohérence dans l’espace mnésique, tel le cas d’un artiste comme Koons, il devient le reflet de la politique institutionnelle . A l’opposé de cela des œuvres architecturales de David Karavan ou Michel Rémon, qui édifièrent leurs réalisations dans le contexte vivant des villes nouvelles des années 1975, telle la ville de Cergy, retrouvent les qualités de la créativité contemporaine. Un regard esthétique de ces réalisations nous fait constater le phénomène directionnel de la mémoire, puisqu’il est plus facilement d’accepter la présence d’un objet d’art du passé dans un contexte contemporain que celle d’une œuvre de la plasticité actuelle dans un contexte historique ; cette dernière souligne le phénomène de rupture entre ce qui est de l’entendement fondé sur l’assimilation des valeurs historiques par l’éducation et le jugement porté lors d’une confrontation n’ayant aucun support et par conséquent qui échappe au processus révélant l’évidence. Ainsi nous pourrions affirmer que la "mémoire créative" n’agit pas dans la linéarité historique mais à travers la "volumétrie" de l’imaginaire, telle la verticalité des transmissions neuronales dans la profondeur du cortex.

Cela traduit en partie l’idée conductrice de notre analyse concernant le comment de la créativité en tant qu’invention où toutes formes expressives et représentations de l’Etre humain, ont comme point de départ les Etres de par leur constitution et leur fonctionnement organique, cellulaire entre l’extérieur et l’intérieur du corps. Disons que ce qui est infiniment petit, à complexité égale se retrouve dans l’infiniment grand, et que dans les deux cas les moyens de percevoir et de concevoir sont déterminés au départ (et parfois à l’arrivée également) par les moyens d’un imaginaire coordonné dont nous n’avons pas la conscience immédiate.

Nous allons proposer plusieurs points analytiques concernant l’Etre humain sensibilisé par l’image de l’Homme qui "fabrique" la perception de son imaginaire grâce aux potentiels qui lui sont induit et qui lui permettent d’affirmer la nature de sa créativité.

         Pour illustrer cette image dans l’image visible en mouvement et stratification  perpétuelle alliée à l’action perceptive (sensori-motrice), citons un court passage des écrits de Baudelaire qui suggère le processus et le palimpseste des paramètres de la vision: un tableau conduit harmonieusement consiste en une série de tableaux superposés, chaque nouvelle couche donnant au rêve plus de réalité.  

 

Les postulats à partir desquels nous aborderons ce "voyage dans le miroir" sont les suivants :

 

A. Les Etres se réalisent à l’encontre du phénomène de l’itération naturelle ; ce qui représente le créatif humain, c’est le sens des articulations directives et/ou expressives et l’ordonnancement spécifique des sens constitutifs des langages. La racine commune de la genèse du mot et le socle commun des mots étant la désignation et l’identification du sens, nous pouvons affirmer que l’œuvre reproduit ce qui rend l’Être remarquable.

 

B. L’être humain est le seul qui transmette les connaissances acquises tout au long de son existence, par des procédés scolastiques mais il n’est pas le seul à développer un langage propre à ses expérimentations. Il dépasse la première période mimétique de l’apprentissage et de la transmission des acquisitions comportementales inhérentes aux espèces animales et aquatiques. Il peut non seulement s’égaler – ce qui caractérise également l’animal -, mais aussi dépasser et "gérer" sa déconstruction, en devenant remarquable à travers la prise de conscience de sa créativité.  A ce niveau, il agit en "miroir de soi". Pour l’Homme, l’Art représente ainsi, la "déconstruction" de sa mémoire artisanale créative, donc  l’erreur dans l’évidence qui mène à l’abstraction. 

Le résultat de sa créativité se traduit dans le comportemental menant à l’objet, à l’ouvrage, en tant que représentation de l’action et à l’œuvre qui redevient l’objet de l’abstraction par laquelle se singularise l’expression de sa conscience. L’œuvre développe la matérialisation du pouvoir d’aller "au-delà" du visible, comme par exemple le rapport harmonique et symphonique (de sinfonia) entre les sons préexistants en tant qu’entités constitutives des musiques inventées.

 

 

 

II. Le sensoriel : Images, imaginaires et mémoire.

 

Le monolithe cérébral, ses " pôles " constituant le réseau sensoriel et ses ramifications, permettent la configuration de l’imaginaire et les différents types de visions qui engendrent les sensations. Rappelons ce qui a été déjà évoqué, c’est à dire plusieurs aspects de ce que représente la sensation productive de visions, notamment la constitution "volumétrique" en profondeur d’une cartographie qui ressemble à une ruche d’abeille, selon l’homogénéité et la cohérence entre la géométrie des cellules et leur "résonance" les unes envers les autres. 

Au sujet de la sensation, il existe ainsi une différence d’interprétation qui mérite d’être mise en évidence. La grande majorité des recherches scientifiques traitent le sujet à partir de l’appareil oculomoteur et de l’ensemble du système fonctionnel neuro-visuel, autrement dit selon une "normalité" anatomique, hors de ce que nous considérerions comme un handicap.

Dans la normalité conventionnelle, par exemple le cortex frontal, l’hypothalamus etc.,   guident nos modes comportementaux a priori, alors qu’a posteriori le fonctionnement cérébral anticipe sur les processus post perceptifs sensibles de par la cartographie neuro-axionale et leurs trajectoires spécifiques codifiées. Les résultats se traduisent partiellement par le traitement fonctionnel des rapports quantitatifs, spécifiques aux configurations anatomiques, souvent reproduit dans l’art imagé ou, ce que j’appelle art des postures. A la différence de la sensation intuitive, le double sens de l’interactivité se déroule de "l’extérieur (l’environnement en tant que support de projection) et de l’intérieur (signifiant l’Âme) réactif "pneuma".

Concernant notre sujet du miroir", nous pouvons classer cette ramification synchronisée lors de sa distribution à l’adresse du cérébral, en deux grandes types de communication - caractéristiques des capacités mnésiques de chaque secteur neuronal et axiomatique: la mémoire passive et la mémoire réactive. L’exemple qui suit repose sur le processus qui relie ce qui est du passif et de la réactivité, dans le cas où l’action est menée par la vision oculaire.  En portant le même regard dans un miroir, je me vois selon ma capacité oculaire en surface bidimensionnelle - puis par construction - tridimensionnelle et j’adapte constamment ma vision afin de compléter le volume en ajoutant trois autres miroirs, en arrière et latéralement de mon corps. Mon appareil oculomoteur transmet au cerveau plusieurs images successives lui permettant de fabriquer artificiellement, par un effort,  un ensemble cohérent en collant les fragments. Passer d’un fragment à un autre, forme la conscience à travers la mémorisation d’images successives. Je fais donc un effort, pour exister en entier à travers une vision de l’ensemble du corps, réunissant ce qui est dans le champs de ma vision complétée par ce qui est "secondaire" et modifié par l’image mémorisée. Je découvre un corps que je m’attribue et qui me donne une identité matérielle mais "ailleurs". L’exemple montre une approche intentionnelle puisque mon attention (concentration) se traduit par l’effort de percevoir en consacrant le temps nécessaire pour me "constituer" visuellement; dans un autre cas, lorsque je suis confronté à ce type de disposition des miroirs et je suis en mouvement, le rapport visuel est épisodique, c’est à dire que je vais constituer de manière mnésique ce que j’ai perçu, autrement dit " moi ". Je vais procéder de la même manière qu’en regardant un film ou écouter une musique. Si ce rapport est unique, alors c’est l’intensité des sensations qui demeurera au même titre que la notion d’effort, alors que s’il s’agit d’une perception renouvelée, je vais assimiler également des éléments secondaire tout en déconstruisant les premiers.  Sans aller plus loin, rappelons à ce sujet l’importance de la thèse Lacanienne du " miroir " qui fabrique le " je ", dès la petite enfance et qui constitue une des bases fondamentales de la construction psychoaffective de la perception. 

 

        Une autre caractéristique des systèmes perceptifs est la chaîne de codifications qui aboutit à une sorte de "captation" qui géométrise et quantifie par des variables les stimuli extérieurs - ou de l’intérieur, comme entre autres sensations celle de la douleur dans certaines pathologies. Les données sont simultanément assignées aux différents "tiroirs", parmi lesquelles, une première "mémoire directe" induite aux fonctionnement électrique des réseaux neuronaux, puis réparties de manière sectorisée et poly-modale à un ou des neurones ou groupes neuronaux sectorisées. Leur réactivité "mécanique" se transpose ainsi dans le visible comportemental dont l’origine réside dans un ensemble, que je nommerai la mémoire créative

En parcourant le chemin inverse, sur le plan fonctionnel, cela se traduit par le fait que chacun de ces circuits apparaît impliqué dans une transformation sensori-motrice particulière, autrement dit, dans la traduction particulière d’une description du stimulus en termes sensoriels en une description en termes moteurs. Par conséquent cette motricité suscite la créativité dont les sources mnésiques proviennent des zones de mémoires passive et réactive, mentionnées auparavant.

Afin de mieux comprendre le sens de notre exposé, il est important, tel que nous le ferons tout au long de cet article sans trop nous éloigner de la philosophie, d’entrer concrètement et brièvement dans ce monde complexe du cerveau en apportant quelques précisions. En 2008 des groupes de recherche américano-suisse, ont établi une première carte du système de communication cérébrale – neuronale et du cortex. Les techniques DSI (Diffusion Spectrum Imaging) et plus récente DTI (Diffusion Tensor Imaging) sont à la base de cette visualisation globale, en commençant par le cerveau de la souris. Lorsqu’on parle des fonctions neuronales, celles-ci sont fondées sur un ensemble de données que nous pourrions déterminer littéralement (en résumant de manière vulgarisée)  par la communication – les axones – et l’expression – les neurones. En romançant les définitions scientifiques par la poétique des couleurs, les deux composantes sont baignées entre autres par les cellules gliales et lorsque des humains regardent la matière grise, telle un dessein auquel le peintre attribue une coloration, elle se différencie de la matière blanche par la coloration que lui donne la myéline. La question qui se pose dans ce cas concerne l’existence d’un peintre de la nature au même titre du sculpteur, que "l’ingénieur" et l’artisan des cellules etc... Les deux supports précités et le réseau des dendrites, forment ainsi l’articulation d’échanges extrêmement complexes qui se répartissent sur l’ensemble du corps. Le cerveau utilise ces "lieutenants" pour être informé mais gère également à posteriori des réactions de ces bases qui possèdent une certaine "autonomie" pour réguler les perturbations. A cela s’ajoute par exemple, des apports chimiques des neurotransmetteurs, des peptides etc.., qui quantitativement déterminent la qualité de la représentation et révèlent "l’humeur de  soi" au monde du visible.

Ce survol rapide souligne plusieurs fonctions qui nous intéressent, notamment la communication (organisation) et l’expression (mouvement) de l’image et de l’imaginaire, qui sont fondées sur ce que nous pouvons appeler rencontre. Dans le domaine de l’art, qu’il soit pictural, musical ou toute autre architecture de la pensée, cette rencontre permet de situer l’intensité à partir de laquelle notre réactivité devient expressive en transitant par la communication.

Cela conforte l’idée que pour tout élément cellulaire (donc organisé) de l’Être dit vivant, il s’agit de dévoiler en permanence des données identitaires ouvrant les voies de la communication ; ce qui relève essentiellement de la mécanicité du mouvement et non pas d’une quelconque définition de trajectoire a priori. Cette phase d’expérimentation des différentes possibilités de rencontres correspond à l’intégrité du comportement cellulaire. Il est induit aux mouvements " constructifs". Toutefois, la seule limite de ces " mouvements évolutifs" est formulée par le rapport volumétrique entre l’espace et la surface. Celui-ci détermine les qualités de tous les paramètres représentant les valeurs et la permanence des éléments d’évolution internes au corps et traduit en gestuel désignant l’objet.

En transposant cela à l’ensemble du vivant, les fondements dialectiques de la constitution a posteriori de "corps complexes" communicants, qu’engendrent des Êtres pourvus de langages, révèle en expression philosophique humaine, les notions d’interactivité, de déterminisme et d’indéterminisme. Autrement dit, le mouvement est signifiant de l’actionpar le biais des stimuli intérieurs et extérieurs.

 

         Tel que nous l’avons précisé auparavant, c’est à travers l’analyse cognitive que je vais essayer d’expliquer comment l’image devient aujourd’hui la source d’un bien-être ou mal-être politique, interprété par et lors du jugement esthétique.

 

Pour continuer cette interrogation sur la "nature" de l’homme créatif, osons une nouvelle hypothèse:

 

Si j’étais seulement une chose animée, je n’aspirerais jamais à comprendre pour devenir un Etre Humain qui de par sa visibilité, crée son Histoire, l’acquiert, la perçoit et se situe au pluriel de sa conscience. D’ailleurs, je n’aurais jamais conscience que je suis une œuvre à la fois théâtrale, cinématographique, sonore d’une curieuse rencontre entre des éléments chimiques, gazeux et rayonnants primaires, provenant de corps inertes extérieurs et développés ou en cours de développement grâce à leur potentiel de mouvement.

Les trajectoires complexes de ces éléments en mouvement devaient un jour se croiser pour communiquer, puis s’imiter, s’unifier et se répliquer, s’affronter, s’opposer pour se protéger, trouver la complémentarité de leurs identités et leurs fonctions déterminées ou indéterminées, vivre pour se développer selon des limites prédéfinies ou se transformer pour se re-déterminer,  survivre, "mourir" en redevenant invisible au "moi-même", constater l’imaginaire en absence même de la "lumière", se transformant en éléments composites à la recherche des fonctionnalités et suivant le potentiel de la modification des "corps", revivre  ailleurs, au-delà de "ma" conscience immédiate, celle d’Etre présent. En bref: un univers dans lequel la politique de la gestion psychoaffective de ma personne en tant qu’entité, signifie déjà l’image animée, visible ou invisible d’une sensation de mouvement des contraires, passé – présentfutur.

Par transposition dans le domaine Politique de la Cité, je retrouve mon identité fondée sur la " mémoire " physique représentée progressivement, édifiée progressivement et à partir de laquelle se décantent les " figures " soumises à mon entendement et constitutives de mes comportements communicants.

 

        Au regard de la poïétique ou imaginant la présence des autres qui m’entourent et qui justifient mon identité génétique, je vais citer Voltaire: nous cherchons de démêler comment naquirent les principales opinions (selon l’étymologie grecque) qui unirent des sociétés, qui ensuite les divisèrent, qui en armèrent plusieurs les unes contre les autres ; nous cherchâmes toutes ces origines dans la nature, elles ne pouvaient être ailleurs.

Je me permets d’ajouter " elles ne pouvaient être ailleurs qu’en "moi", dans ma constitution chimique, organique, fonctionnelle, physiologique et sensorielle. Cette unicité du "moi réactif", donne lieu à la diversité lorsque je me place "ailleurs, en face de moi" et je perçois; car percevoir est induit à mon corps, usant de tous mes systèmes constitutifs, afin de me situer à travers l’existence des semblables. Mais comprendre m’est vital, signifiant des capacités mnésiques et de leurs potentialités.

Octavio Paz écrivait à ce sujet , ..La memoria no es lo que recordamos, sino lo que nos recuerda. La memoria es un presente que nunca acaba de pasar.

 

         Avec clarté, nous dirions que je suis constitué par le sens des mouvements, j’ai "naturellement" le potentiel de comprendre et pour cela je m’inscris sur le chemin menant à l’invention des moyens et au-delà, à la création sous toutes ses formes, faisant usage de figures que ma conscience associe à celles de mon inconscient. L’important ce n’est pas d’écrire (puisque nous sommes "écrits") mais de comprendre, disait le philosophe peu connu du nom d’Alexandre Dragomir.

 

Ainsi, "je" parcours inlassablement le chemin entre l’invention des moyens et la création sous toutes ses formes, usant des éléments de ma conscience associant ceux de mon inconscient. Mes neurones miroirs sont là en partie, pour m’assurer de la possibilité et le choix de "matérialiser", d’assumer ou pas, l’action de mon imaginaire – engendré par les capacités mnésiques – et de synthétiser les phénomènes physiques  et les langages codifiés en images claires. Mes inventions technologiques et leurs supports, m’ont permis non seulement de posséder une multitude de possibilités de me "voir", mais aussi de stigmatiser le fonctionnement de ma mémoire. Par exemple, ces mêmes neurones miroirs me permettent d’apprendre par imitation, ce que précise le chercheur Marc Jeannerod, dans un article consacré à l’analyse de l’imagination motrice: Que l’on pense, par exemple à un élève qui, immobile, observe son professeur exécuter au violon un passage compliqué, en sachant qu’ensuite il devra l’exécuter à son tour. Afin de reproduire les mouvements rapides des mains et des doigts du professeur, l’élève doit pouvoir s’en former une image motrice. Or, selon Marc Jeannerod, les neurones responsables de la production de ces images motrices seraient les mêmes que ceux qui s’activent durant la planification et la préparation de l’élève de sa propre exécution. En d’autres termes, l’activation des neurones miroirs engendrerait une " représentation motrice interne " de l’acte observé, dont dépendrait la possibilité d’apprendre par imitation.

 

Ouvrant l’enveloppe du "moi", j’ai traversé le miroir pour me retrouver en "face de moi", devenant ma propre reproduction virtuelle et matérialisée; j’ai étendu mon pouvoir et le ressentir, donner vie intelligente à des "objets" jusqu’en recréant mes propres organes. Le chemin parcouru débute de manière réactive, puis projective,élargissant l’espace de l’imaginaire, et selon un parcours pyramidal correspondant à ma propre constitution. J’ai commencé de "l’extérieur", auquel j’ai attribué une visibilité d’apparence, qui me permit de réagir, donc de m’observer, de percevoir les mouvements à partir d’un corps unique, d’une entité; puis je me suis décodé fragment par fragment, système par système etc… Tout cela commençant toujours par la pratique de différents types de langages post-réactifs, signifiant les caractéristiques et spécificités des mouvements constitutifs de la géométrie de l’imaginaire. Nous pourrions dire que la codification est le fondement de ces langages dont l’imaginaire est l’abstraction au système.

        Dialectiquement cela détermine ce que nous appelons l’Ecriture et accentue la différence avec la notation. Dans ce sens, ce rapport dialectique assure l’équilibrage des degrés de l’imaginaire, dont les limites se situent dans le rapport entre la normalité et "l’anormal", que nous définissons par le mot folie ou alors que nous classons comme pathologie lorsqu’il porte atteinte à "soi" et à autrui.

Par ailleurs et souvent, c’est par autrui qu’on juge le degré d’une pathologie comportementale de "soi". L’imaginaire est aussi toute chose qui ne pouvait trouver un sens signifiant matérialisable sous une quelconque forme, et qui demeure à chaque fois " l’absolu " vital de par la complexité fonctionnelle. Autrement dit, à chaque fois que je suis revenu sur "Moi", c’est part un processus cinétographique  préexistant dans la mémoire et aboutissant à une sorte d’Image synthétique du langage représentant la créativité.

 

 

4. L’Homme créatif et sa nature.

 

Lorsque en 1997, nous avons évoqué avec le Professeur et grande amie, Ana-Maria Leyra, la nécessité de poser les bases universitaires de la recherche au sujet de l’Ecriture et de l’Image sous le nom du programme, l’Europe de l’Ecriture et de l’Image, la question fondamentale était et demeure en ce qui me concerne, de poursuivre la thématique des grands travaux entre le Professeur neurologue John Eccles et le philosophe Karl Popper, au sujet de l’Homme créatif. A ce titre, je vous propose d’attribuer le sens du mot "créatif", à la quête de l’être humain (ce qui lui est vitale puisqu’elle le constitue physiologiquement) et son action singulière qu’il doit affirmer ; action perçue et entendue par les autres vertébrés.


Pour obtenir la reconnaissance de sa propre existence dans un environnement donnés, il doit intégrer et surtout provoquer des modes comportementaux similaires, mais aussi correspondre à des critères " naturels " similaires. L’Homme doit modéliser - contrepouvoir conséquent du pouvoir singulier d’Etre. Cela implique qu’il doit être inventif, ou qu’il puisse identifier – par opposition aux modes du fonctionnements mimétiques - et réaliser ponctuellement la correspondance entre les propriétés réactives de son imaginaire et le fait d’assumer ses inventions.

En dressant une "pyramide" pour formaliser le raisonnement aristotélicien et le dualisme platonicien à travers le discours de Socrate, nous pouvons constater que ce qui définit l’organisme monocellulaire, correspond à Celui qui édifie; un degré en dessous nous retrouvons l’artisan dont le rôle est d’user de la scission cellulaire pour fabriquer à partir d’un "mouvement réactif" qui ne lui appartient pas ; plus bas encore, s’active le peintre qui donne l’apparence du mouvement d’origine ; quant au poète qui se substitue à l’abstraction de Dieu (selon l’identification des judéo-chrétiens), il est refoulé de la Cité. L’interprétation de cette allusion à Socrate, dans le monde d’aujourd’hui exprime la saturation de l’espace de l’imaginaire du peintre, qui revient inlassablement sur les fonctions de l’artisan, à la recherche du jugement esthétique, jusqu’à prendre l’identité suprême.

         Sa volonté ne peut que réagir dans un système de valeur et son mal-être résulte de cette contradiction, car l’espace complémentaire de l’imaginaire - submergé par les données du système - ne peut trouver sa complémentarité que dans le miroir de sa conscience. 

Les connaissances historiques, l’historicité des connaissances acquises aujourd’hui par l’éducation, ne sont plus complémentaires des moyens d’information. A cela s’ajoutent les messages codifiés qui stimulent ou emplissent en permanence l’espace d’évolution.

Entre les comportements sociaux communautaires dans la Cité et la créativité de l’être humain, se développe ainsi un rapport de force dont l’œuvre dite artistique se différencie en permanence du sens du mot œuvrer ; l’action représente ainsi le mouvement inaltérable d’un système et la créativité l’abstraction du mouvement lors de sa projection dans un espace fictif.

 

Rappelons  brièvement que "l’invisible", la créativité de l’homme en particulier, se présente comme une progression  du potentiel de la volonté, à partir de l’état primaire commun à toute espèce. Celui-ci - chimique, électrique et rayonnant - se fonde sur une codification spécifique et quantitative très complexe, jusqu’à la complexité des différents types de communications, puis à l’identification et la mécanicité des supports neuronaux actifs ("miroirs", bi-modaux et tri modaux) représentatifs des différentes zones mémoires spécialisées, engendrant à leur tour des langages extériorisés qu’ils développeront tout au long de l’existence. Ainsi l’Homme ne peut être créatif qu’au-delà de lui-même.

Par conséquent, beaucoup plus loin dans le processus de développement, apprendre à "fonctionner" dans l’environnement de ses semblables (ceux d’une même espèce), représente la politique et la gestion de soi dont la plupart des fonctions et des  réalités imaginées et perçues se retrouvent reproduites et rendues visibles par ce que nous appelons "cultures".

Il faut comprendre par le mot développement, un processus fluctuant du point de vue des valeurs historiques, et paradoxalement interprété et reconnu de manière universelle. 

A titre d’exemple, une succession d’images ne peut être qu’un développement constant de quelque chose, perçue et synthétisée a posteriori par la conscience (politique) et déterminée sur une échelle de valeurs selon l’entendement général (interprétation esthétique).

 

        Partant de la créativité primaire fondée sur l’acquisition d’automatismes, celle qui permet d’exister et qui se manifeste dès la naissance (après une première vie aquatique en ce qui concerne les mammifères mais également toutes les espèces qui naissent associées à la présence de l’eau), et jusqu’à l’aboutissement technologique d’aujourd’hui, la politique de cette évolution naturelle, est de "voir" en matérialisant l’existant afin de le montrer. A ce sujet, précisons l’importance des matière organique formées de substances fabriquées par les êtres vivants, riches en atomes de carbone, hydrogène, oxygène et azote. Par exemple, les glucides, protides et lipides sont des substances caractéristiques de la matière organique. Toutefois, une cellule de carbone ne peut être qu’un élément dont la trajectoire peut ou non croiser celle des autres éléments. A elle toute seule, elle ne peut constituer un corps vivant, alors qu’en soi, elle est un élément vivant. Il faudra aboutir à l’homéostasie afin d’obtenir l’équilibre dynamique qui nous maintient en vie

 

Prenons un autre exemple : la créativité du mouvement primaire entre un liquide et un gaz ne produit pas forcement la "vie" telle que nous l’imaginons à travers un " corps " visible et normalisé. Cela ne produit pas non plus une culture, malgré l’échange des codifications moléculaires mais peut constituer l’iconographie d’un phénomène extérieur signifiant une valeur déterminée.

 

Un corps humain constituer, ne peut être que ce que sa constitution le permet ; sauf  lorsque son réseau sensoriel associé au système neuronal, dont le développement se fonde sur des capacités mnésiques, lui permettent de dépasser la mécanicité du fonctionnement vital.

L’artisan exprime sa créativité et engendre l’action du peintre. Il s’oppose ainsi à la nature, par l’imaginaire et la culture.

 

 

5. De la cellule à la pluriculturalité

 

 

Depuis les premiers grands " voyageurs " telle Lucie, l’association entre l’exploration et les moyens politiques et économiques, caractérise l’Etre Humain. Grâce à cet " alliage " entre la quête de connaissance et le développement industriel des moyens de communications – souvent non synchronisé aux développements culturels et sociaux dans le monde mais imposé -, celui-ci vit aujourd’hui dans une réalité pluriculturelle.

Le terme de " mondialisation ", très à la mode et utilisé dans tous les cas de figures de " crise progressiste ", montre également l’acquisition de cette conscience formée, profilée par " l’image d’un réel répliqué" à partir de l’information et qui demeure dans le vraisemblable puisque à la fois, " l’image " stigmatise et fixe les cultures, contracte les espaces, les rend linéaires, et fragmente les données temporelles (historiques). Paradoxalement, ce phénomène nous ramène dans le domaine stylistique et formel au retour des "limites" de la scène théâtrale par opposition à l’espace de la Cité – devenu l’espace identitaire circonscrit à partir duquel se manifeste l’imaginaire de l’individu.

     Du point de vue humain, l’image devient ainsi l’élément de référence universelle, sauf pour la culture qu’elle représente et pour laquelle elle devient une propagande. Cette référence est destructrice de l’Histoire et de l’esprit de conservation spécifiques aux cultures ancestrales, puisqu’elle les résume afin de permettre d’une part l’entendement immédiat et d’autre part de susciter la vraisemblance du ressenti en absence du vécu – hors toute expérimentation et acquisition progressive d’éléments identitaires fondamentaux de la mémoire de l’évolution historique présentée comme "morte".

Ces "nouvelles Images politiques" de nous-mêmes à la différence des autres, qui nous différencient à travers une multitude de critères de langages, iconographiques et politiques, constituent une mémoire fragmentée de l’Histoire humaine, laissant à l’imaginaire ce qui constituera a posteriori notre réactivité, "ailleurs" dans le vraisemblable. Elle ne peut être une vérité mais qu’une appréciation esthétique que je lui attribue à un moment donné où convergent des paramètres complexes et relationnel entre "moi" et l’extérieur (lieu, luminosité, etc…).

Dans ce sens, tous les critères de différence et d’homogénéisation qui ont permis cette conscience et qui engageront nos réactions a posteriori, proviennent de la gestion du rapport entre la formation de "soi" (l’écriture) et la définition humaniste du mot politique de notre vision culturelle (notations) confrontée à la macro-perception stimulant  l’imaginaire.

 

Rappelons que cette "macro-perception" s’est essentiellement développée par la facilité de la mobilité géographique et en rapport avec la réduction progressive des durées du parcours. Celui-ci modifie "l’horloge" biologique, laquelle mesure la notion espace-temps, constituant ainsi le rapport d’intelligence entre le réel issu de notre imaginaire et la matérialisation par la vision.

 

          Revenons un instant à la citation de Voltaire. Celle-ci s’adresse à l’Homme socialisé, qui s’interroge sur l’origine de ses comportements et qui aujourd’hui se retrouve entre autres questionnements, confronté à la politique de l’Image en tant qu’écriture et souvent transformée en œuvre d’art, ce qui le rend paradoxalement à la fois universel dans son rapport paradoxal avec la nature, et identifiable à travers le fondement des langages qu’il "invente" a posteriori en reproduisant progressivement ce qu’il EST.

L’Homme se redéfini continuellement en rapport avec l’essence même de cette monade dont il est issu. A travers la surface visible et en apparence fragmentée géographiquement, les êtres humains se différencient entre eux volontairement en créant leurs traditions culturelles à partir d’éléments spécifiques aux capacités fonctionnelles du système sensoriel. 

       Cela attribue à l’Art la consistance de ses représentations, lorsqu’on dépasse le niveau de l’artisan en s’appropriant celui du créateur. Ce point a une grande importance lorsqu’on tente de définir l’Etre humain comme créatif. Dans ce sens la normalité du fonctionnel sensoriel, tel que nous l’apprenons pour admettre qu’il existe des différences pathologiques, ne permet pas de porter une analyse objective dans le domaine artistique, mais représente les contraintes déterministes dont le mot politique signifie la régulation des rapports de force entre l’imaginaire menant à la création et ses orientations en ensembles socialisés.

Nous allons prendre très brièvement, deux exemples de pathologies spécifiques à cet aspect des choses, afin d’exprimer le fait de l’œuvre réalisée par l’homme créatif, en tant qu’abstraction de la nature et surtout comme représentation conflictuelle entre l’appropriation du pouvoir du " créateur " parcourant le chemin qui le sépare de l’artisan au peintre – magistral exemple de Socrate. Par ailleurs, l’acquisition du pouvoir issu de la conscience créative de l’être humain – face à la mécanicité reproductive -  inspira (même aujourd’hui à travers le discours du Pape Benoît XVI) beaucoup de textes institutionnalisés par les pouvoirs religieux et fondés sur la peur de perdre le pouvoir du savoir et des connaissances. N’oublions pas que les grands chercheurs de l’Antiquité, tel Nemesius, proposaient des approches où " l’énigme " du ou des Créateur(s), demeurait surnaturelle pour les mortels. Les faits scientifiques étaient interprétables dans les limites de la "foi" et le secret des connaissances pour ceux qui bénéficiaient de la grâce divine.

Sans nous égarer trop dans les méandres politiques de la Cité, commençons par l’exemple qui souvent constitue un référentiel de la normalité visuelle, ce qui est considérer communément le handicap du peintre, c’est à dire la cécité.

Cet "handicap" d’un artiste peintre, est très complexe puisqu’il peut être génétique ou pathologique, et aussi puisqu’il existe une grande diversité des degrés du dysfonctionnement visuel. Nous allons prendre le cas de celui qui ne possède aucune mémoire visuelle, c’est à dire, aveugle de naissance. Etre aveugle et peindre est en apparence un oxymore du langage courant. Les raisons du vraisemblable s’adressent entre autre à la notion de surface dédiée à l’œuvre, de couleur et surtout d’un sujet reproductible en absence de vision. Logiquement, pour un aveugle qui peindrait, cela impliquerait des moyens techniques ou humains extérieurs, afin d’évaluer ces quelques paramètres classiques. Mais est-ce que la notation d’une image répliquée relève de l’écriture, autrement dit de l’Art de présenter le "contenu" imaginé par l’ensemble des fonctions de l’Imaginaire ?

Sans aucune référence à l’interprétation religieuse, nous répondrons oui, en omettant que l’Ame n’est pas une notation mais surtout ce qui permet d’inventer des notations. Alors qu’un créateur qui ne "voit" pas grâce à son système oculaire, peut "voir" grâce à son imaginaire dont les moyens (modus) sont ceux des autres systèmes sensoriels qui produisent l’image de l’expression. 

Le résultat de son œuvre, l’écriture sensible par laquelle il essayera d’exprimer son ressenti, ne sera pas intelligible dans l’immédiateté car elle représentera la déformation pour ne pas dire l’erreur qui rend l’œuvre inclassable esthétiquement sans préciser qu’elle fut réalisée par un "aveugle".

Un des constats possibles est que l’œuvre de l’homme créatif n’est pas destinée à être comprise, mais ressentie dans un rapport aux autres, à l’intérieur d’espaces-temps et non pas dans l’immédiateté du contexte de désinence des langages. Dans le cas contraire, le résultat devient usuel, autrement dit un usage particulier qui doit s’insérer dans un contexte forcement socialisé et normalisé – à l’image de la mécanisation de l’édition qui formate le livre  destiné à l’usage de la lecture.

Un autre exemple est celui de l’instrumentiste ou compositeur sourd. Encore un oxymore en apparence. L’activité créatrice de cet artiste atteint de surdité paraît plus aisée que celle de celui atteint de cécité. Mais paradoxalement, le fait de voir n’est pas une condition fondamentale à l’homme créatif.

                  Pour le compositeur, cela peut même devenir un handicap stylistique supplémentaire, car il sera capable d’enregistrer par la vision, la mécanicité, l’historicité typographique et beaucoup d’autres paramètres physiques, spatio-temporels etc., qui le placeront dans une situation de facilité par rapport à l’esthétique intelligible et classable dans le domaine de la vision normalisée et socialisée; autrement dit dans les limites d’une subjectivité fondamentale à partir de laquelle il aura le choix entre le conceptuel esthétique ou l’expérimentation à partir du conceptuel redéfinissant des paramètres esthétiques. Il aura de multiples choix et la spontanéité de son art sera le questionnement du célèbre Beethoven.

A ce sujet, le génie du compositeur allemand montre de par la signification même du mot génie, que l’œuvre d’art est une " fabrication " créative usant des moyens de la nature et non pas la nature elle-même. Quant à l’interprète instrumentiste ou chanteur, il concentrera son attention sur "le toucher" ou le contrôle imaginaire de l’émission vocale, afin d’obtenir un résultat qui est hors sa capacité d’entendre. Donc le "jeu" sera déterminé par l’imaginaire, puisque le résultat sonore se traduira dans l’abstraction par projection d’un ressenti spécifique à soi prenant en compte les aspects vibratoires et les paramètres physiques des sons de manière intuitive et projective.

En ce qui concerne l’identification par la parole de l’image d’un objet perçu, citons le cas de M. Z., afin de montrer que des dysfonctionnements des transmissions relais entre différentes zones cérébrales, produisent des incohérences dans le signifiant mais pas dans l’identification de l’usage d’un objet.

Lorsque on a demandé à M.Z. de nommer des objets comme une brosse à dents, une fourchette, une pipe, un peigne, etc., il a invariablement répondu "un thermomètre". Pourtant M. Z. se saisissait de la fourchette pour manger, du pinceau pour peindre, de la salière pour saler sa soupe, de la pipe pour fumer…

M. Z. était aussi incapable de lire suite à un accident vasculaire provoqué par un caillot formé dans son artère cérébrale postérieure gauche et qui avait définitivement lésé cette région. Malgré cela,  il articulait et parlait correctement; il savait épeler les lettres d’un mot, comprenait ce qu’on lui disait, mais ne nommait pas correctement les objets. Il ne présentait donc pas un cas classique d’aphasie, marqué par l’impossibilité de s’exprimer oralement et déjà étudié par Paul Broca, neurologue à la Pitié, à la fin du XIXe siècle.  M. Z.  avait gardé intact son "centre du langage articulé", mais il ne pouvait nommer correctement ce qu’il voyait en raison d’une lésion partielle de la zone visuelle. La reconnaissance des visages, des lettres, des mots met en relation des zones plus spécifiques de la pensée avec celle où se constitue l’image, c’est à dire la perception de la  "forme" d’un objet dont le mot est évoqué en pensée. Depuis son accident cérébral, M. Z. était devenu alexique : il avait perdu la capacité de lire. Cependant il pouvait écrire.

Cette alexie sans agraphie avait aussi été étudiée, dès 1892, par Jules Déjerine, médecin à Bicêtre qui n’avait pu en expliquer la cause. Après examen clinique, l’explication de l’affection de M. Z, tient à la destruction des zones cérébrales gauches de reconnaissance des mots et des objets. La lecture demandant une collaboration étroite entre les systèmes de la vue et de la parole, M. Z. ne pouvait plus lire. Un problème que l’on retrouve dans la dyslexie, laquelle correspond à un léger dysfonctionnement des systèmes visuels ou auditifs.

L’hémisphère gauche de M. Z. ne reconnaissait donc plus les objets, mais il les utilisait néanmoins correctement - fourchette, pinceau ou pipe, grâce à une reconnaissance implicite effectuée dans l’hémisphère droit mais ne pouvant être formulée : cet hémisphère étant dépourvu de "centre du langage".

D’une manière plus générale, l’incapacité de nommer un objet peut procéder  d’autres causes. Par exemple, la mémoire du sujet peut (temporairement ou définitivement) ne plus retrouver un mot dans son lexique. Ou bien le patient ne peut plus mettre un nom, un sens sur ce qu’il voit : perte du sens des mots appelé" démence sémantique ". Ou bien, et c’est encore le cas de M. Z, le sujet donne le même nom à des objets différents, ce que nous appelons " persévération " et qui s’expliquent – selon un modèle électrique - par un phénomène de déconnexion entre deux étapes successives du processus cérébral.

 

     Dans ce dernier cas clinique, l’Image perçue n’est qu’une référence de la qualité de l’objet qui est désigné par l’imaginaire. L’image perçue devient secondaire aux fonctionnalités de l’objet. Autrement dit, l’imaginaire peut se construire par le toucher, ou par la description faite par un tiers.

        Lorsqu’il s’agit d’Art, c’est en quelque sorte toute l’ambiguïté qui réside entre l’image résultant des fonctionnalités directes de l’être humain et la photographie qui transite par un appareil imitant les fonctions visuelles. Reflets d’un certain transfert du verbe (logos) à l’œuvre.

Par conséquence, comme l’imaginaire qui possède son support et sa matérialité mnésique invisible (de l’infiniment petit), l’image également résulte de la stigmatisation quantifiable par une sorte de "résumé mnésique". Affirmons ainsi qu’à la différence de l’expression sensible (créative), la matérialité de l’image représente la codification préétablie des moyens qui oriente vers différents types de communication:  signalétique, directive, informative, déformante, subliminale par déconstruction, par fragmentation et recomposition dans les consciences. Tout cela se décline par le comportemental individuel et celui des sociétés, accentuant les différences dans le monde contemporain, montrant avec clarté la simultanéité des résistances selon l’époque et l’environnement que ces diverses sociétés vivent et conçoivent au présent.

 

Mais comment ces "images" acquièrent-elles les qualités expressives et poétiques qui déclassent souvent les langages et les syntaxes phonétiques donnant lieu ainsi à des situations de crise ?

En quoi et surtout comment le "tronc commun" spécifique à chacune des "natures" des Etres, se diversifie-t-il à partir du potentiel et des capacités qui lui sont propres ?

Que représente et comment se construit "l’image" de point de vue d’une philosophie des natures fondée sur l’Homme Créatif par "nature" ?

 

Petite anecdote : rappelons qu’au début, des "indiens" refusaient la photo, en prétextant que celle-ci volait le corps et l’esprit, alors que des occidentaux plébiscitaient cette nouvelle technique artistique qui permet de se voir mais aussi d’être vu.

Cette attitude de "peur" viscérale de la part de certaines "cultures", n’est pas qu’une interprétation formulée par la méconnaissance de l’objet de la "boîte noire", mais celle engendrée par une autre représentation de l’invisible sur des supports iconographiques naturels (bois, pierre, marbre, métaux). Toutefois, n’est-elle pas aussi  l’expression poétique d’une certaine conception de la réalité ?

Le développement créatif de l’Homme, son imaginaire qu’il fabrique et le représente par nature, fonctionne en synchronie parallèle, puis comme nous l’avons évoqué, se différencie progressivement de la nature, car elle est exposée, montrée à soi comme une valeur de l’invisible fonctionnement ; autrement dit, en contrepartie de l’affirmation de Voltaire, les origines des choses de la nature n’existent que par opposition aux capacités de transformation de  la nature de l’Etre humain.

 

           L’Homme se représente progressivement et continuellement en ce qu’il est réellement; il s’approche de son "contenu" pour le reproduire et percevoir et c’est cette démarche "créative", la traduction et la réalisation des concepts, qui deviennent l’expression poétique et non plus la communication. Le fondement de la démarche repose sur l’affirmation de "la propriété" induite à la singularité du pouvoir, et qui peut engendrer des manques lorsqu’il s’agit de limiter l’imaginaire. De nos jours, la majorité de ces névroses de défense provient de l’impossibilité de matérialiser l’ écriture de la communication directive ou expressive, remplacée de plus en plus par divers types d’annotations, ou alors se transformant socialement dans un "domaine réservé " par différentes codifications. Ces langages résument par leur action signifiante et directive; ils occupent et souvent remplacent le "discours", notamment la narration. Allons plus loin, en affirmant qu’associées au sons ou à la musique elles donnent un sens absolu. C’est un des premiers points essentiels de notre sujet, puisque cela traduit la fonction temporelle fragmentaire synthétisée de la perception que les êtres ont d’eux-mêmes et des autres, par nature

       Dans ce sens nous dirions que la notion de "vision" est représentée par le rapport entre la "comptabilité" de l’existant, de l’Espace- temps, et les potentialités spécifiques qui fixent les qualités permettant de définir des valeurs constructives au devant de soi.

Cette affirmation dialectique, permet de proposer que l’Homme est une invention synthétique inévitable et programmée par le fonctionnement de sa nature, et que cette opposition engendre ce que la nature ne possède pas: la vision d’elle-même – le "miroir".

 

 

2ème Partie :  De l’imaginaire au  langage et à la créativité sonore 

 

Phénomène d’hypotypose.

       La notion de langage est une valeur complexe à partir d’éléments déterminés par des mouvements signifiant les sens affectifs. Comprenons par le mot affectif la racine d’affects ainsi que la définition sous-entendue des diversités fonctionnelles et physiologiques déterminées ou indéterminées par l’émission d’ensembles coordonnés de stimuli.

A titre d’exemple et selon le professeur Porphyre, un ensemble de mouvements produit des sens déterminés affectifs ou communiquant et en absence de toute oralité. C’est le cas de la posture ou de la mimique. Selon la distance qui permet d’entendre les sons et de les associer au gestuel visualisé, tout mouvement s’adresse à une interprétation sensible et non pas liée au langage - même si nous ne comprenons pas la langue, celle-ci indique la plupart du temps le sens du geste spontané.

Cela constitue le processus de la  vision concrète objective, ou alors, suscite l’apparence d’une pseudo vision subjective simultanée ou non. C’est une des définitions possibles de l’imaginaire qui "fabrique" une image cérébrale à posteriori, à partir de séquences stockées par le système mnésique des fonctions sensorielles. Autrement dit, nous parcourons plusieurs étapes avant de posséder une vision des choses, afin de les interpréter et les comprendre. Une des significations les plus importantes du mot comprendre est un nombre déterminé de signaux qui déclenchent le processus de décodage, ou d’une mémoire de l’apprentissage qui mènent à l’entendement; cela afin d’interpréter le geste réfléchi en rapport avec la réponse par un geste que nous pouvons appeler spontanéité réactive. Dans le domaine relationnel entre deux personnes, la qualité expressive de l’un à est celle qui, lors de l’action, suscite la mémoire en tant que répondant au processus de l’entendement. Ainsi, un geste est décodé par la réactivité mnésique, ou alors, il est mémorisable pour une future expression similaire. A travers l’articulation phonologique d’une phrase, le geste déclenche chez l’autre une réaction qui peut être exprimée par une autre représentation sensible. L’interprétation et la réponse peuvent être complémentaires ou opposées à la parole: gestuelle, tactile, onomatopéique,  mimétique etc…Mais elles peuvent être aussi inconnues, c’est à dire difficilement mémorisable ou réactive, à cause de la perception de sens, entre langage signifiant et gestuel, contradictoire. Par exemple, dire "j’arrive" en regardant une personne et partir en même temps. Ou alors un autre exemple: un gestuel synchronisé à une augmentation d’intensité sonore et de mots signifiants un état dramatique de colère, reçoit une réponse par un gestuel spontané réactif dépourvu d’expression orale – une attitude de posture qui fait partie, par exemple, du spectacle dit vivant par opposition à l’écoute d’une œuvre enregistrée. L’appréciation esthétique d’une œuvre vocale, instrumentale, ou les deux à la fois, associe également pour un non musicien, les images du gestuel instrumental ou vocal qui lui sont associés – dans certains cas le lieu et l’environnement : alors que l’écoute a posteriori de l’enregistrement de la même œuvre, suscite des images résumant les éléments perçus et "dénaturant" l’appréciation esthétique ciblée sur la musique. Dans les deux cas, l’état fonctionnel général s’inscrit dans la notion de potentiel mnésique de chacun, mais malgré cela, le jugement esthétique retrouve un "socle" commun entre les individus représenté par une "moyenne" des données affectives.

  • A ce titre, la représentativité mimétique demeure déterminée par le principe de réplication, dont les images représentent la reconstitution, l’aboutissement, la projection et l’induction comportementale dans des univers constitués par l’Ecriture comme englobant de la clarté des notations.
  • L’image représente simultanément les contraires; elle est productive et réflective des phénomènes sensoriels spécifiques ou devient universelle à travers des moyennes constituées par des différents types de communication. Elle reproduit "l’invisible" répondant ainsi aux besoins vitaux de l’Etre humain, dont la volonté d’appropriation nécessaire à l’existence - la confirmation d’exister à partir de sa conscience ou celle donnée par autrui envers soi, engendre la détermination de matérialiser l’image, de lui donner un "corps". Cela représente une des différence fondamentale entre la nature et l’Homme.

          L’ensemble de ce fonctionnement, dont la complémentarité des tracés de communication, constitue deux aspects physiques de l’Ecriture: la phonographie et la sémiographie.

Les deux déterminent les représentations extériorisées du "soi" sensible, en tant que poïétique du créateur et sont également étrangères à la notion de " normalité " lorsqu’il s’agit d’imaginaire.

L’Être humain procède par nécessité à la communication notifiée, puis matérialisée, synchronisant cette "nécessité" qui le caractérise depuis son origine et en transposant les propriétés des systèmes visuels aux inventions technologiques de l’imagerie fixe (photographique) ou successive (cinégraphique). Pour cette raison tout ce qui dépasse la correspondance avec les paramètres qui caractérises la "stabilité" définie par les limites organiques spécifiques au corps, représente cet imaginaire créatif. A titre d’exemple, une couleur vive qui dépasse le champs de vision et nécessite un mouvement; un enchaînement d’images supérieur au 24I/sec. ; un débit de mot qui dépasse le rythme et la vitesse correspondantes à la compréhension. A ce sujet, une langue étrangère à celui qui écoute, où les mots s’enchaînent à une vitesse qui dépasse le temps d’assimilation de l’articulation, ajoute une difficulté supplémentaire quant à l’identification de l’appartenance géographique, car elle peut ressembler à une autre langue à travers l’intonation.

Revenons à notre rapport entre langage parlé et l’écriture et retenons le fait que le sens donné après la constitution des mots, puis des phrases signifiantes, des liens avec l’identification des objets etc…, tout ce qui concerne ce que nous appelons les langages notifiés pour signifier, ne représentent qu’un aspect secondaire à ce qui est de l’Image issue du graphisme de l’écriture. Tout le monde connaît l’anecdote de celui qui traitant d’imbécile son interlocuteur, le fait avec le sourire mais en japonais.

Ce magnifique sourire projeté et perçu graphiquement, rassure celui qui écoute ce qu’il ne comprend pas, mais qui donne une réponse mimétique dans une langue que son interlocuteur à son tour ne comprend pas. L’unique moyen de la communication relève de paramètres "primaires" de l’Ecriture (gestuel, onomatopéique, graphique) qui peuvent s’avérer la base d’un nouveau langage, ou alors des moyens  expressifs qui transitent par l’usage instrumental ou gestuel artistique (sonores, musicaux, picturaux-réproductif, etc..). De nouveau, dans les deux cas l’Etre vivant en général, fait état de sa créativité afin d’exprimer ou de communiquer.  

Comme nous l’avons déjà présenté, les capacités auditives et tactiles représentent un socle fondamental de la "vision" cérébrale. Lorsqu’on raconte une histoire en tamoul ou en une langue que nous ignorons, le cortex auditif est activé et le cerveau intègre l’information phonologique et non pas sémantique (le sens). Mais dans le cas d’un texte en français (pour ceux qui comprennent la langue), un plus grand nombre de zones cérébrales s’activent afin de traiter les paramètres sonores et aussi de traiter les mots par l’identification.; cela active une zone portant le nom de l’aire de Broca dans l’hémisphère gauche et non pas dans celle de droite (qui supplée à d’autres fonctions notamment spatio-temporelles du langage). En complémentarité et dans la même hémisphère gauche, le traitement sémantique du sens active l’aire de Wernicke, qu’englobe à la fois le gyrus temporal, moyen et supérieur. Nous constatons ainsi que l’activation partielle ou généralisée de ce qui mène à l’entendement, repose dans sa partie primaire, sur le fonctionnement d’un ensemble cérébral qui permet la " captation " et la répartition des éléments perçus. Le raisonnement, c’est à dire ce qui donne lieu à une analyse a priori de l’action, stimule à la fois ces circuits neuronaux et ceux de l’ensemble mnésique (expérimentation a posteriori).

        Enchaînons par une anecdote, en compliquant les faits pour montrer l’aspect complexe de l’audition liée à l’imaginaire. X qui écoute la voix téléphonique de son interlocuteur Y, et qui s’imagine à partir du son de la voix qu’il entend mais ne comprend pas la "langue", que son interlocuteur téléphonique est en train de sourire. L‘image est absente, et devient "fabriquée" selon plusieurs critères: X connaît les traits du visage et le caractère de Y – ou alors, X connaît seulement les traits de Y – ou alors X ne connaît pas Y, donc il ne peut qu’imaginer un sourire sans "visage", disons un "sourire sonore".

       Ce qui est important de remarquer c’est l’évolution de la marge d’erreur qui augmente au fur et à mesure lors des trois possibilités mentionnées entre X et Y. Mais cela implique aussi, que toute communication orale a un impact déterminé selon un sens particulier définissant un rapport réactif, de force et d’entendement et non obligatoirement de compréhension et/ou d’intelligence. Autrement dit, la réaction de X se classe dans le domaine du possible. Un exemple musical illustrant partiellement cela, est "l’œuvre" silencieuse (environ 20 minutes) pour piano, en présence de l’ensemble constitutif d’un concert, par le compositeur américain J. Cage. Il ne se passe rien d’autre que ce qui est de l’œuvre "concert" dont l’objet (le piano) et l’interprète sont présents et suscitent ce qui est à la fois du domaine du possible et de l’impossible sonore. Cette œuvre devient la représentation conceptuelle ; elle est présente mais inécoutable a posteriori de sa création et elle ne peut être présentée a priori non plus sans l’apport de l’imaginaire. Quant aux langages "naturels" du gestuel signifiant, les moyens de communications d’aujourd’hui (télévisuels), qui permettent leur visibilité d’un point à un autre point du monde, auraient rendu l’analyse encore plus compliquée de par la représentation musicale "muette", en réduisant l’espace du visible par un directionnel imposé par la technique sélective de la transmission.

 

 

Maintenant, prenons le cas de la communication la plus naturelle comme celle est du gestuel signifiant. Elle traduit le degré d’intensité, l’amplitude et la sensibilité du ressenti et détermine à travers le mouvement, le sens et l’intentionnalité de celui-ci. Toute communication où le mouvement visible est absent, devient indéterminée et donne lieu à un rapport ou l’espace se réduit proportionnellement à la durée. Cela engendre et rend inévitable l’expression sonore, autrement dit, un "événement nouveau" et des paramètres signifiant "nouveaux".

La contraction de l’espace à travers la durée – appelons cela la segmentation du temps - caractérise la variabilité de la capacité visuelle de la profondeur de champs contenant des plans différents qui nécessitent une attention particulière et par mouvements successif. Le même principe du rapport entre l’aspect segmenté du temps et de la vitesse de transmission  concerne l’audition. Par exemple, nous pouvons observer ce phénomène lors de l’écoute d’un ensemble de sons composé d’intensités et de dynamiques variables autour d’une sonorité dominante. Ce qui découle de l’aspect variable des plans secondaires en rapport avec le sujet dominant et qui représente la perception globale, c’est la part de l’imaginaire. En inversant les rôles, c’est-à-dire en accordant une attention particulière à un autre élément figurant dans le plan secondaire, nous justifions le sujet dominant  dans un contexte créatif. Toutefois dans le cas d’une perception tactile afin de découvrir la forme d’un objet par un individu atteint de cécité, le processus est différent; celui-ci va reconstituer l’image par l’assemblage des segments (des figures géométriques) qui composent l’objet afin d’obtenir un volume, ce qui nécessite une période temps plus longue. L’identification de l’objet par la recomposition des formes et volumes géométriques, est un point commun avec les autres moyens de perception.  Lors du processus de transmission et de stimulation neuronale, l’inversion entre le sujet dominant et les plans secondaires s’effectue de manière sélective. Le déchiffrage des codes de cette inversion - par la logique algorithmique - est déterminé par des processus plus complexes encore et qui suscitent au niveau du cortex ce que nous appelons "l’imaginaire".

L’effet de miroir se compose ainsi partiellement dans des rapports vectoriels de symétrie entre l’image mémorisée et l’image recomposée. L’algorithme complexe de ces représentations introduit la notion de variable entre deux entités linéaires, dont l’activation et la réactivation concernent l’identité des mêmes réseaux neuronaux à travers les potentiels de transmission assurés par le réseau axional; in fine le rapport de régulation quantitative au niveau des multiples transmetteurs, joue un rôle fondamental dans tous les processus neuro-perceptifs. Lorsqu’on demande à un individu s’il se "voit" sa réponse sera négative mais il répondra qu’il "se ressent", ou alors qu’il a conscience de ce qu’il ne voit pas, tels les mouvements de son visage lorsqu’il adopte par exemple un sourire. Celui-ci "imagine" son sourire par la fabrication d’une image " fausse " qui lui permet de contrôler les muscles faciaux en se figurant de manière fictive son "visage".

 

La transposition dans le "monde visible et audible" de l’invisible qui nous anime, relève des pratiques spécifiques à chaque arts, même si nous avons démontré qu’il existe un socle commun des langages, de par les capacités fonctionnelles et des constitutions anatomiques.

 

 

 

L’Hypotypose – de la diversité fonctionnelle entre sons et textes -

La musique sous l’égide d’Apollon et de son fils Esculape, est un art vivant identifiant le sens moderne donné à l’Ecriture. Elle est représentée par des sons30 en tant qu’induction physiologique des êtres de toutes les espèces animales et aquatiques. C’est le seul art qui ne possède qu’une matérialité physique impalpable car "intérieur" aux corps, mais mesurable et notable par l’artisan. Par définition elle est l’abstraction signifiée par des nombres qui expriment "le relationnel éclairé" justifiant les mouvements. Comme nous l’avons évoqué au début, ses représentations et orientations sont variables selon les expressions et les pratiques communicatives. La musique moderne existe de par ses supports et ses instrumentations, mais elle demeure fondamentalement l’identité des sons; identité souvent oubliée au bénéfice des arts visuels, lorsqu’elle prend le sens esthétique  (et non pas stylistique) d’accompagnement musical. Elle ne reproduit rien d’autre qu’elle-même, elle n’est pas visible et non plus déterminée par une durée ou surface limitée. Elle identifie l’expression poétique en suscitant la spontanéité sonore associée aux arts visuels – pictographie, sculpture, architecture etc. Dans ce sens la musique dite "pure" n’existe pas autrement que par le reproductibilité conceptuelle de "soi". A cause de cela, elle ne sera jamais pure dans le sens absolu du terme sauf si elle garde son origine immatérielle à l’état physique qui lui est propre et dépourvue de toute humanité. Il faut comprendre par le sens humanité, tout ce qui se rapporte aux stimuli qui déclenchent la réactivité physiologique et fonctionnelle caractéristiques du vivant: la sensation, le ressenti, le sensible, l’humeur, l’expression spontanée et celle raisonnée, l’édification conceptuelle des langages et leurs phonétisations etc...

A travers les siècles, elle fut adaptée à la perception par la matérialisation sous différentes formes du "visible" et interprétable à partir des supports: textes musicaux, intonations  et récitations poétique, déclamation, inscriptions iconographiques de l’interprétation, picturale et reproductible, partitions, et depuis le siècle dernier, numérisation etc… Et cela, sans entrer dans la complexité des types de supports des nouvelles technologies, qui modifient non seulement les comportements de lecture et d’interprétation de par leur conception, mais déterminent le processus de rapprochement et de mise en évidence du fonctionnement cérébral; d’où les différentes thèses béhavioristes, ou autres, qui soulignent ou s’opposent à un phénomène ancestral de la démarche humaine: découvrir et imiter pour dépasser son propre Etre, autrement dit, la défiance des corps au bénéfice de l’Esprit. Mais revenons à notre sujet, puisqu’il s’agit là d’une autre analyse qui toutefois se trouve en lien directe avec nos interrogations au sujet du "miroir" de soi. D’une manière schématisée et générale, plusieurs exemples différents de situations de la réactivité des fonctions sensorielles et mnésiques liées au corps, révèlent à la fois la spécificité de chacune des expressions et le socle commun, qui dans le domaine génétique porte le nom de " gastrulation ".

Il est évident qu’en ce qui nous concerne, cette étape fondamentale n’est pas un fait présent lors des pratiques artistiques, mais en faisant un pas en arrière dans notre " miroir ", nous constatons que tout le trajet à partir de la sensation et du concept naissant jusqu’à la création de l’œuvre, et même sa représentation,  ressemble aux processus qui nous composent.

         Ce parcours comportemental du "créateur", de l’artisan et de l’artiste, a son histoire comportementale qui se manifeste par les techniques abordées comme des révélations de la recherche.

L’œuvre devient ainsi la codification sensible de "l’image" de Dorian Gray, des viscères déformantes de Bacon, de la géométrisation cubiste, de l’expression spontanée à l’ordre monodique grégorien, des musiques iconographiques aux architectures" des héros de l’antiquité grecque dans l’imaginaire dramatique de Wagner ; de la statue antique à Giacometti en passant par la représentation sculpturale de la culture africaine, du voyage épique de Manfred aux désespoirs  de Wozzeck, du sens narratif de Tacite aux jeux de l’existentiel de O. Paz et S. Beckett, de l’énigme du Silence chez N. Sarraute aux rêves "éveillés" par la souffrance d’Aragon et la révolte esthétique et politique de Breton, du rituel architectural du jardin japonais et le graphisme poétique chinois à la science du renga mathématique de l’esprit de Jacques Roubaud, etc…

L’énumération que vous venez de lire, est volontairement désordonnée afin de confronter les différentes démarches qui se conjuguent à partir de ce que j’appelle le socle commun du créateur ; celui-ci ne pourra pas "sortir" ailleurs de soi tant que physiquement il n’aura pas trouver inconsciemment un autre "corps" pour l’Esprit. La dialectique de cela est que le créateur humain sera toujours réduit à une mémoire identitaire préexistante et qu’en sculptant son propre corps ne modifiera pas l’existant mais il se réduira dans une dimension à partir de laquelle il se heurtera aux rapports entre l’espace et le temps, qui le renverront à sa dimension initiale. Cette itération sur un axe en mouvement dans une dimension invisible mais calculable, suscitera toujours l’interrogation de Beckett  dans l’Innommable et la réponse de Paz dans son XVIème poème en prose (Aguila O Sol) que nous citerons pour conclure et qui est un magistral exemple poétique de notre impuissance d’aller en soi et de contrôler l’absolu – le tout conscient -  c’est à dire, l’image du miroir. L’Art devient ainsi l’unique moyen "absolu" d’un tout relatif et fictif, par lequel l’homme est la vraisemblance de sa pensée. Nous sommes des navires lourds de nous-mêmes,/ Débordants de choses fermées, nous regardons/ A la proue de notre périple toute une eau noire / S’ouvrir presque et se refuser, à lamais sans rive. Le mal-être ou mal à l’aise aujourd’hui, reflètent le déplacement et la mutation progressive de cet axe où figurent l’itération consciente des pratiques et leurs mutations dans l'inconscient. Cela entraîne une "révolution" vers l’essentiel de chacune des définitions d’origine, marquant ainsi la notion de "pouvoir" comme intrinsèque entre l’Etre humain et ses "découvertes". L’image se heurte ainsi à l’imaginaire, le langage à la prépondérance de la sensation;le politique à l’architecture de la Cité et cette dernière à l’Etre Humain créatif.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bibliographie récapitulative et documentaire:

  • Giacomo Rizzolatti, Corrado Sinigaglia : Les neurones miroirs. Ed. O. Jacob 2008
  • Alain Berthoz : Le sens du Mouvement Ed. O. Jacob 1997
  • John C. Eccles : Evolution du Cerveau et création de la conscience. Ed. Fayard 1989
  • Jean-Didier Bagot : Information, sensation et perception. (cursus psychologie). Ed. Armand Colin, 2002.
  • François Jacob : La Souris, la Mouche et l’Homme. Ed. O. Jacob, 1997
  • Laurent Cohen, neurologie Hôpital Salpétrière : L’Homme-thermomètre. Le cerveau en pièces détachées, Éd. O. Jacob, Paris, 2004
  • Lionel Naccache : Le nouvel inconscient, Freud, Christophe Colomb des neurosciences. Ed. O. Jacob, 2006.
  • Gilles Deleuze : Empirisme et Subjectivité. (Epiméthée) Ed. PUF 1953
  • Gilles Deleuze : Logique du Sens. Les Ed. de Minuit – Collection " critique ", 1969.
  • Jean-Pierre Changeux : L’homme neuronal – Ed. Pluriel sciences 1983
  • Jean-Pierre Changeux : Raison et Plaisir, Ed. O. Jacob 1989.

A titre documentaire :

  • Octavio Paz : De vive Voix – entretiens (1955-1996). Ed. Arcades Gallimard 2008
  • Octavio Paz : Courant alternatif. Les Essais CLXXVI Gallimard, 1967
  • Octavio Paz, Jacques Roubaud, Edoardo Sanguineti, Charles Tomlinson : Renga. Préface Claude Roy, Ed. Gallimard, 1972
  • Octavio Paz, Aguila O Sol in Libertad bajo Palabra. Edition de Enrico Mario Santi, Catedra, Letras Hispanicas, 1990
  • Samuel Beckett : L’Innommable. Ed. de Minuit 1953